On n'est plus chez nous !!
Dans quel restau du onzième Pedro Pascal a-t-il déjeuné cette semaine ? Où fuir la canicule dans Paris ? Êtes-vous Europauvre ?
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Chers lecteurs,
Avant toute chose, une minute de silence pour la prouesse photographique de Sølve Sundsbø qui a immortalisé en une seule photo les biceps, la moustache et les FESSES de Pedro Pascal.
L’acteur le plus désiré d’Hollywood était à Paris cette semaine et on me souffle dans l’oreillette qu’il a snobé les établissements clinquants du triangle d’or pour déjeuner dans mon bistrot préféré de l’autre côté de la ville : le Servan des sœurs Levha. On n’est plus chez nous !!
Avez-vous repéré les signaux ? Augmentation graduelle des décibels aux terrasses des coffee shops, looks de festival de Cannes rue des Abbesses un mardi matin, file d’attente dès 18h devant chez Clamato, cours de pilates anglophones, invasion de bérets rouges… La saison des Américains à Paris démarre en trombe. Je ne parle pas seulement des New-Yorkaises de la fashion ni même de leurs cousins TikTokeurs venus se déglinguer à la Fête de la Musique en pensant qu’il s’agissait là d’un Coachella hexagonal. Je parle de Pharrell Williams qui a (encore) privatisé l’espace public pour son défilé Vuitton. Du DJ Diplo qui a joué aux Tuileries une baguette à la main. De la « watch party » anglophone du défilé Dior organisée dans un rade de Strasbourg St. Denis. Et je parle évidemment de l’EVJF de Lauren Sanchez sur un bateau mouche.
Le patrimoine architectural de la ville, son art de vivre esthétisé à outrance dans d’innombrables moodboards Pinterest, ses nourritures sexy et les eaux cristallines de la Méditerranée à une heure de vol nourrissent une machine à fantasmes qui ne connaît pas la crise et s’étend à l’Europe entière. Chaque été, notre continent géopolitiquement moribond devient le champ d’attraction de ceux-là mêmes qui nous méprisent le reste de l’année. Et rien n’exprime mieux l’ambivalence de ce phénomène que le mariage du milliardaire Jeff Bezos à Venise ce week-end. Je suis hypnotisée par les photos de la soirée mousse qui s’est tenue sur son mégayacht tandis qu’à quelques encablures de là, des centaines d’activistes vénitiens déployaient des banderoles pour signifier leur colère de voir des milliardaires traiter leur ville comme une vulgaire salle de mariage. C’était le triomphe de la « Fuck You Money » face à une minorité anticapitaliste dépassée.
Mais qu’est-ce qui choque, précisément ? Le prix délirant du mariage (20 millions d’euros) ? Les cinq palaces privatisés pour l’occasion ? Les flics en jet-ski ? Le wedding cake signé Cédric Grolet ? Ce look de Kim Kardashian ? Ce qui choque, selon moi, c’est surtout le fait que ce spectacle nous soit offert par la caste même qui cultive l’europhobie galopante : la technodroite américaine, point de convergence entre la Silicon Valley et l’univers MAGA. Sur X et sur Reddit, ces libertariens enfilent les clichés comme des perles : les Européens passent leur vie en vacances, l’Europe est un musée décadent, on n’est pas fichus d’assurer notre propre défense, on ne s’hydrate pas assez. Le culot qu’on a de se plaindre de la Disneylandisation de notre continent alors que le tourisme est la seule industrie qu’il nous reste ! Portés par une éthique protestante du travail qui valorise la réussite économique avant le plaisir, ils ont même un mot pour nous qualifier : Europauvres. Je trouve que c’est l’insulte la plus sexy qui soit.
Être Europauvre, c’est préférer le ventilo à la clim. C’est activer son message automatique d’absence du 18 juillet au 24 août. C’est demander la carafe d’eau au restaurant. L’Europauvre, c’est ce type sublime croisé à l’aftershow du défilé Courrèges qui portait un tee-shirt promotionnel des supermarchés Cora (« la passion du choix ») (alors que moi, avec ma grande chemise blanche Brooks Brothers, j’avais plutôt l’air de chercher l’aftershow Max Mara).




Les effluves de poppers et de toilettes chimiques qui planaient sur cette soirée techno à Romainville ? Europauvre. Un écran d’iPhone explosé ? Europauvre. Fumer une clope en guise de petit-déjeuner ? Europauvre (et Eurozempic). Sauter dans le canal Saint-Martin par 32 degrés, aimer la chaise Monobloc en plastique, voyager en TER, acheter sa serviette de plage chez Action et consulter les adresses du Poording ? Europauvre. Je nous souhaite de cultiver tout l’été l’Europauvre qui sommeille en nous. Et pour se réconcilier avec les Américains en villégiature européenne, on aura toujours Edith Warthon qui a signé, dans La Splendeur des Lansing, les plus belles descriptions que l’on puisse faire du lac de Côme et de Venise la nuit : « Dans la pénombre, pendant que leur proue glissait sur des palais inversés, au milieu des senteurs de jardins invisibles… »
Mes commerces essentiels de proximité
Quelques adresses indispensables à mon bien-être qui échappent encore aux guides touristiques, à l’appli Amigo et à TravelTok.
Pour un spectacle gratuit
Les sapeurs-pompiers de la caserne Château d’Eau s’entraînent torse nu tous les jours avec les portes grandes ouvertes sur la rue et de la musique gabber à fond. Ne me remerciez pas.
50 Rue du Château d'Eau, 75010 Paris
Pour un petit-déjeuner à moins de 5 balles
Bao vapeur farci au porc + galette de légumes + soupe de tofu et d’algues chez Best Tofu à Belleville. Si la perspective d’un petit-déjeuner salé vous dégoûte alors commandez plutôt un youtiao, le churros chinois. Mais sachez que ce choix, d’après les médecins de la Sha Wellness, c’est l’assurance d’une mort prématurée avec une mauvaise peau en prime.
9 Bd de la Villette, 75010 Paris
Pour fuir la canicule
Le 8 septembre 2023, il a fait 34,8 degrés à Paris. Je m’en souviens parce que je venais d’envoyer ma toute première newsletter et que le garçon qui partage ma vie m’a emmenée boire du saké dans le sous-sol d’Ogata pour fêter ça. Une cave en pierre de taille du XVIIe siècle, ça vaut tous les ventilos Dyson : température ambiante de 22 degrés, hygrométrie parfaite, acoustique au max. Un sommet de ce que j’appelle l’architecture anxiolytique.
16 Rue Debelleyme, 75003 Paris




Pour renouer avec le papier
Thierry Presse : c’est littéralement un trou dans le mur de la rue du Château d’Eau où se vend le meilleur de la presse internationale. J’y achète mon How To Spend It, l’ironie étant qu’après l’avoir payé un bras, je n’ai plus un seul centime à dépenser.
76 Rue du Château d'Eau, 75010 Paris
Pour un cocktail beauf pointu
La Sol Mezclas Clamato, une version en canette de ce fabuleux cocktail mexicain que l’on appelle Michelada et qui se compose de bière et de Clamato, une boisson addictive préparée à base de jus de tomates, de jus de palourde, de céleri, d’épices et d’une tonne de glutamate. J’achète la Sol Mezclas Clamato au frais dans la petite épicerie mexicaine La Esquinita mais les puristes pourront se taper une Michelada maison parfaite au restaurant Tarántula ou la boire en version dirty avec du mezcal dans mon bar préféré, Kissproof.
36 Rue de la Lune, 75002 Paris
13bis Rue Keller, 75011 Paris
50 Rue de Belleville, 75020 Paris
Pour un apéro de l’au-delà
La meilleure terrine de canard à l’orange de la ville (de la Terre !) se trouve chez Richard Pommiès, un charcutier béarnais situé aux Buttes-Chaumont. Fierté des miens !
6 Rue Botzaris, 75019 Paris
Pour les meilleurs sushi de votre vie
Foncez chez Hanada, un nouvel omakase tellement exceptionnel que j’ai un peu honte de le catégoriser « commerce de proximité ». C’est un comptoir de huit places en bois hinoki suspendu dans un écrin noir semblable à une œuvre de Soulages. Le maître Masayoshi Hanada y façonne à la main une série de nigiri exceptionnels qui lui vaudront (au moins) une étoile Michelin en mars prochain, vous l’aurez lu ici en premier.
15 Quai Voltaire, 75007 Paris
Sur Instagram, j’ai demandé où télétravailler avec la clim, dans l’Est parisien et sans se faire insulter par un barista (je connais le meilleur spot de bronzage de la ville en plein centre de Paris, mais je ne sais toujours pas où aller travailler quand mon appartement chauffe trop) (qu’est-ce que ça dit de moi ?) (ne répondez pas). Voici les adresses les plus recommandées par mes abonnés, qui sont formidables :
Off Campus, 18 Bd Voltaire, 75011 Paris.
« Chanmé ! »
Café du coin, 9 Rue Camille Desmoulins, 75011 Paris
« De 8h à 12h et de 14h30 à minuit pas de problème, tu peux aussi garder la table le midi si tu as une réservation »
Residence Kann, 28 Rue des Vinaigriers, 75010 Paris
« La salle du fond mais c’est assez sombre »
Ten Belles, 10 rue de la Grange‑aux‑Belles, 75010 Paris
« Dans la petite salle du haut en semaine c’est ok »
Bonjour Jacob, 28 rue Yves Toudic, 75010 Paris
« Attention, ça ferme tôt »
Hôtel Chateau d’Eau, 75 rue du Château d’Eau, 75010 Paris
« La journée c’est calme et il y a la clim »
Hôtel Paradis, 41 Rue des Petites Écuries, 75010 Paris
« Ils sont très cool »
Le Grand Amour, 18 Rue de la Fidélité, 75010 Paris
« La journée c’est très studieux et personne va t’embêter si tu restes trois heures avec un espresso. »
« Ils sont adorables. »
Temple & Chapon à l’Hôtel Expérimental Marais, angle rue du Temple et rue Chapon, 75003 Paris
« Cool pour venir se cacher et travailler »
Hôtel Providence, 90 Rue René Boulanger, 75010 Paris
« Ils sont très détendus et c’est tout à fait confortable »
« C’est tranquille »
Comme à chaque missive je me délecte les neurones, j'opine du chef, je parle toute seule "oh put...je l'ai déjà dit" et surtout j'ai mon sourire en coin de gentille moqueuse caustique et légèrement snob. Celui là même qui me fait regarder toutes les influenceuses en méduses avec un sourire en coin ; moi qui en porte invariablement chaque saison - comme les espadrilles de supermarché - depuis environ 20 ans. Oh wait - Ce serait pas complètement Europauvre ça ?!
Merci pour la newsletter très riche et toutes les recos ! Fan du concept d’europauvre, mon programme pour cet été, et habituée de la caserne des pompiers de la rue du Château d’Eau ;).