Ma semaine à manger dans la clinique minceur des stars 🧬
+ la revanche des gastronomes solitaires, mes adresses où se retaper après une grippe et une avalanche de produits dérivés « The White Lotus » pour la saison 3.
Le grand bonheur de ma carrière de journaliste, c’est qu’avec ma carte de presse je peux utiliser gratuitement les toilettes du Grand Palais quand ça me chante que j’ai l’occasion, chaque année, de vivre des moments gonzo dans des lieux totalement improbables. La bibliothèque personnelle de Keith Richards sur une île privée des Caraïbes en 2016. Un club de strip-tease au Bhoutan, l’un des pays les plus fermés au monde en 2017. L’arrière d’une fourgonnette volée pleine de cannabis, suivie par des flics en 2012. Une soirée échangiste très chic en 2024. Le lit de Magali Berdah, papesse déchue de la télé-réalité en 2021. Et, le mois dernier en Espagne, une clinique wellness futuriste aussi célèbre que ses habitués (Naomi Campbell, Cristiano Ronaldo, Barbra Streisand, Monica Bellucci, Natalia Vodianova…). Pionnière du bien-être holistique, la Sha Wellness promet à ses précieux curistes de devenir « la meilleure version d’eux-mêmes » (que cela signifie perdre dix kilos ou gagner dix ans de vie) en conjuguant les technologies et connaissances les plus avancées de la médecine occidentale avec la philosophie et les savoir-faire millénaires de l’Orient. J’y suis allée pour écrire sur son unité de santé sexuelle, j’en suis revenue avec un diagnostic de pré-burn-out et l’expérience alimentaire la plus exotique de mon existence.
L’alimentation à la Sha Wellness est macrobiotique et réglementée à l’extrême. On y déjeune en peignoir et slippers immaculés, toujours à la même place de l’immense salle de restaurant (j’avais une vue mer à gauche et une vue sur Jon Kortajarena à droite). C’est un terrain d’observation inestimable pour qui s’intéresse aux mœurs des 1% (comptez facilement 10 000 euros pour une semaine de soins à la Sha). J’ai découvert que les dirigeants des grandes entreprises aiment qu’on les traite comme des enfants : on les dorlote, on choisit leur repas, on les pèse quatre fois par jour, on leur dit quand manger, quand faire de l’exercice, quand dormir. On m’a prescrit un menu ultra-protéiné à 1000 calories par jour : j’ai avalé une soupe miso, du houmous, des crudités et un bol de porridge chaque matin. Les repas du midi et du soir démarraient avec un shot de vinaigre puis il était interdit de boire de l’eau pendant tout le repas. J’ai mangé plus de seitan, de tempeh et de tofu en cinq jours que dans ma vie entière car les menus excluent tout produit animal à l’exception du poisson les jours de fête et vous savez quoi ? Je n’ai jamais eu faim, sauf peut-être le troisième soir où je me suis endormie en consultant le site de l’aéroport d’Alicante pour savoir s’il était équipé d’un Burger King (il l’est). Et je me suis régalée de ce mode d’alimentation qui est pourtant, sur le papier, tout ce que je déteste. Les dressages étaient un peu too much (= espagnols) mais les assaisonnements déments. J’ai mangé le meilleur bortsch de ma vie. Entre les repas, j’ai essayé des trucs fantastiques (le watsu, un massage en flottaison dans un bassin à 34 degrés inspiré du shiatsu), des trucs tordus (l'ozonothérapie, interdite en France), j’ai consulté un médecin star de la longévité qui m’a crié dessus (« Vous les français vous mangez n'importe comment ! Que du pain et du fromage ! » « Vous fumez ? Pourquoi vous essayez de vous suicider ?! » « Marie Kondo ne fait pas son âge parce qu’elle mange du miso tous les matins !! »).
Mais c’est quand je l’ai quittée que les effets de la clinique m’ont vraiment frappée. En allant prendre mon vol retour, j’ai balayé du regard le hall de l’aéroport d’Alicante et j’ai eu l’impression d’assister à un suicide collectif : les cafés caramel macchiato supplément chantilly qui sortaient du Starbucks. Les plateaux Burger King chargés de frites dégoulinantes de fromage. Les voyageurs sifflant consciencieusement leur Coca dans des gobelets d’un litre, les allées de Toblerone et de M&M en boîtes d’un kilo au duty free, les paquets de Doritos chez les marchands de journaux. Moi, la fille qui termine les assiettes des autres, qui assume son addiction au glutamate et qui a décrété que son corps n’était pas un temple mais un parc d’attraction, j’étais devenue, en moins d’une semaine, une sous-Gwyneth Paltrow à tendance orthorexique. Je suis loin d’être la seule : ce qui a dû être perçu comme une approche farfelue de l’alimentation à l’ouverture de la Sha en 2008 est aujourd’hui un phénomène mondial. Notre connaissance de plus en plus poussée des effets de la nourriture sur les maladies chroniques, la façon que l’on a d’analyser nos pics de glycémie et de décomposer nos assiettes en macro-nutriments, c’est le plus grand bouleversement alimentaire de notre époque. Et si cette réalité vous horrifie, sachez que l’avenir pourrait tout aussi bien ressembler à ce type qui a vu ses jointures virer au jaune cheddar parce qu’un Tiktokeur lui avait vanté les mérites du « régime carnivore ».
5 opinions alimentaires non sollicitées.
La revanche des gastronomes solitaires
Si Bourdieu écrivait La Distinction en 2025, vous pouvez être sûr qu’un chapitre entier y serait consacré à ceux qui revendiquent « le plaisir de dîner seul au comptoir ». Bien sûr, en 2025, « dîner seul au comptoir » consiste à dîner seul penché sur un téléphone où clignotent simultanément douze groupes de conversation WhatsApp. C’est pourquoi personne n’est plus distingué à mes yeux que ce type, croisé au Comptoir des Saint-Pères, qui dinait seul en lisant un album de Tintin :
Comme tous les signes de distinction, le dîner solitaire a fini par devenir mainstream : sur la plateforme de réservation The Fork, les demandes pour un seul couvert ont augmenté de 18% en un an. En tant que personne qui adore dîner seule au comptoir, vous me croiserez probablement au nouveau restaurant Kamo où je m’adonne à mon activité favorite : aspirer bruyamment des nouilles udon en envoyant de la sauce dan dan au piment sur mes vêtements (blancs) et ceux de mes voisins.
Kamo, 17 Rue Martel, 75010 Paris
« Rendez-vous à l’étoilé éphémère Top Chef » (un truc que personne ne dira jamais)
Vous avez dû voir passer l’info, le Michelin s’est associé au concours Top Chef pour remettre une étoile au restaurant éphémère du candidat qui remportera la prochaine saison. J’entends que le guide rouge doive impérativement trouver une façon de sembler dans l’air du temps mais ce partenariat désespéré, c’est vraiment le dernier clou planté dans le cercueil d’une institution dont la crédibilité était déjà en chute libre. Idéologiquement, cela fige par ailleurs de jeunes candidats dans les codes du gastro à la papa, avec son idéal de menus à rallonge cuisinés dans le sang et les larmes et vraiment, qui a encore envie de ça à part Matan Zaken ? Non vraiment j’ai bien réfléchi et je crois que la seule idée marketing plus suicidaire que ça pour le Michelin, ce serait un calendrier sexy de ses inspecteurs anonymes.
Mes remèdes à l’épidémie de grippe
Cinq bouillons sans ordonnance à Paris.
Le potage pékinois des Mandarins de Belleville qui est l’équivalent du jus de tomate dans l’avion : il suffit qu’un client s’en fasse servir pour que la salle entière en commande un. J’adore sa dégaine interlope (rouge sombre, épais et rempli d’éléments non identifiés (poulet, tofu, bambou, champignons noirs, coriandre). Il réchauffe instantanément, jusqu’aux entrailles. (5,80€, 12 rue Jules Romains Paris 19)
Le consommé végétal de Il Ristorante, le meilleur italien de Paris dont personne ne parle (je soupçonne que c’est parce qu’il est situé dans le 8e et que les restaurants d’hôtel ont mauvaise presse). Le chef trois étoiles Niko Romito y sert une extraction à froid de céleri, carottes, oignons. Ça s’appelle Assoluto Vegetale, c’est le consommé le plus puissant que j’aie jamais avalé alors qu’il n’est assaisonné qu’avec un peu d’huile, de la sauge… et une goutte de champagne. (inclus dans tous les menus, Hôtel Bvlgari, 30 Av. George V, Paris 8)
La soupe de nouilles méga pimentée de Maison Sichuan qui débouche le nez, fait piquer les yeux et tousser les novices. L’adresse me vient du Poording, le seul guide en lequel j’ai une confiance aveugle. On y croise des touristes chinois chargés de sacs de shopping qui ont le mal du pays, la lumière y est affreuse mais toute la carte est FOLLE. (12,90€, 102 Rue Saint-Honoré, Paris 1er)
La soupe à l’oignon du Bistrot de Paris : techniquement pas un bouillon puisqu’elle est composée à 65% de fromage fondu mais c’est mon réconfort, n’en déplaise au médecin longévité de la Sha Wellness. (33 Rue de Lille, Paris 7)
Le phở de Mắm From Hanoï : un bouillon d’os à moelle mijoté 24 heures avec des épices, de la coriandre, de l’oignon, du citron vert. La viande de bœuf cuit doucement dans le bouillon et l’assaisonnement « dam toi » (gousses d’ail et piments au vinaigre) servi à côté suffit à lui seul à déboucher le nez plus efficacement qu’un coup de poppers pendant la Gay Pride. (17,50€, 39 Rue de Cléry, Paris 2)
Une cuisine sans concessions
En se battant pour garder la concession de son restaurant Maison Maison, mon amie Déborah Pham a levé un sacré lièvre. Il s’appelle Pierre-Edouard Stérin, il est milliardaire, catholique intégriste et exilé fiscal assumé depuis 2012. L’argent dont il prive l’Etat français, il l’injecte dans des dons défiscalisés à des associations anti-IVG, révisionnistes, islamophobes ou qui soutiennent les thérapies de conversion des homosexuels. Je le précise parce que je trouve incroyablement cynique qu’un type qui veut changer l’orientation sexuelle de mes amis de la fanfare et empêcher les femmes de disposer de leur corps ait également investi dans des marques spécifiquement plébiscitées par ces deux publics (Dynamo, Polène, Oh My Cream). Rappel que les milliardaires ultra-conservateurs, c’est comme les additifs dans la bouffe : on en trouve partout, surtout là où on s’y attend le moins. Au rayon des crossovers entre l’extrême-droite et la culture LGBT, j’aurais nettement préféré une télé-réalité des Real Housewives à Montretout mais je ne fais pas les règles…
Un compte appétissant sur Instagram
Je n’en reviens pas que Cuisine and Cinema n’ait que 853 abonnés sur Instagram alors que sa créatrice propose la plus belle et la plus référencée des collections d’images qu’on ait vue sur ce réseau social. Il est plus difficile, en revanche, d’échapper aux nouveaux critiques gastronomiques anonymes et énervés qui envahissent nos feeds. C’est le journaliste Léo Bourdin qui m’a fait remarquer ce phénomène et découvrir certains spécimens qu’on pourrait difficilement décrire autrement que « un genre de François Simon qui serait atteint du syndrome de Tourette ». On n’a pas su dire si c’est le nouvel algorithme masculiniste de Zuckerberg qui valorise ce genre de contenu, ou si les gens ont tout simplement un immense besoin de se défouler. Mais dans le deuxième cas, il existe des professionnels pour ça, et la Sécu rembourse les séances à hauteur de 60% !
Autres considérations :
Si la saison 3 de The White Lotus n’a pas encore démarré, son marketing, lui, est déjà en roue libre : H&M collabore avec la costumière de la série, Kiehl’s sort un set de voyage dédié, Fair Harbor lance une collection de maillots, robes et shorts The White Lotus moches comme ceux qu’on trouve à des prix prohibitifs dans les boutiques d’hôtels cinq étoiles… La série HBO, qui déploie ses intrigues dans des resorts pour millionnaires américains, véhicule un imaginaire tellement puissant que tout le monde veut en prendre une part.
Qui pour racheter l’incroyable villa de Paul Poiret dans les Yvelines et m’inviter à la crémaillère ? (j’enlève mes chaussures et je fais des gyozas incroyables)
À mes lecteurs adeptes d’immobilier et de hate-watching, je recommande d’urgence le compte Instagram No Context L’Agence, dont les captures d’écran saisissent parfaitement la tension plouc-ostentatoire de cette télé-réalité qui m’hypnotise.
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Étant actuellement malade, je rêverais du potage pékinois des Mandarins de Belleville !! Merci de rendre ma quarantaine moins soporifique
Un Bolloré bis, god help us (the rest of this was also 👌🏼👌🏼)