Bonjour la France qui retourne au bureau !
Je ne vous souhaite pas une bonne année, on est déjà le 6 janvier. Je vous souhaite en revanche une chose toute simple, bien qu’elle soit, en réalité, plus illusoire qu’un gouvernement qui tient la route ou un wifi fonctionnel dans le TGV : je vous souhaite de soigner la singularité de vos goûts. Oui, c’est un challenge ! La façon dont on consomme du contenu en ligne, la façon même dont les plateformes sociales sont pensées incitent à l’uniformisation de nos modes de vie, au point qu’il me semble de plus en plus difficile de ne pas se laisser glisser sur le toboggan des désirs collectifs.
La journaliste américaine Molly Young a posté, il y a quelques jours, ces trois phrases très justes sur Substack :
« L’Internet n’a pas tué l’excentricité, mais il a rendu plus difficile, pour quiconque vit en ligne, de vivre d’une manière spécifique. Internet étouffe la spécificité, ou la ridiculise, ou l’ignore, ou l’exploite pour la commercialiser, ou bien tout cela à la fois. Cela engendre un type de personnalité que Henry James décrivait ainsi dans Les Ailes de la colombe : “Vous êtes familier avec tout, mais vous n'êtes, en réalité, conscient de rien.” »
Comprendre comment se forment nos goûts et nos dégoûts, découvrir pourquoi certaines tendances culinaires ou lifestyle douteuses envahissent nos existences avec la puissance d’un raz-de-marée, sont précisément les enjeux qui ont inspiré cette newsletter. Je n'imaginais pas qu’elle rassemblerait, un an plus tard, autant de lecteurs malgré son rythme de publication et sa ligne éditoriale aléatoires.
Pour vous remercier et reprendre, ensemble, le contrôle de nos personnalités, je vous propose un exercice expiatoire : lister tous les phénomènes food, déco, voyage ou autres que vous ne pouvez plus voir en peinture et qui ne méritent pas, selon vous, de survivre à la nouvelle année. Les nommer, c’est déjà un peu s’en délivrer pour mieux accueillir, telle une toile blanche, de futures excentricités qui vous ressembleront vraiment.
Je commence :
La reprise de vieilles institutions culinaires telles que L’Épuisette à Marseille par d’anciens candidats de Top Chef appuyés par des groupes de restauration désincarnés
Les couronnes en pain
Les sardines en conserve à 12€ servies à même la boîte au restaurant
Megève et Courchevel pour le ski (IN : La Pierre-Saint-Martin dans les Pyrénées)
Les sculptures en beurre (encore une tendance food qui a vieilli plus mal qu’une coupe de cheveux Toni&Guy)
Le « caviar végétal », la « suite parentale » et tous ces éléments de langage destinés à nous vendre des produits d’une qualité médiocre tout en stimulant notre appétit pour le prestige et les codes ultra-normés d’un luxe à la papa
Le « manifesting ». L’idée de « reprogrammer mon cerveau » pour attirer le succès me laisse perplexe. Mais si vous y tenez vraiment, il y a une app pour ça.
Les carpaccios, les ceviches, les tartares. Je vous supplie de trouver une autre façon de servir du poisson et des fruits de mer en entrée.
Les graines de grenade dans les salades. Tout n’a pas forcément besoin d’ « une petite touche de couleur »
Se filmer pendant un cours collectif de yoga ou de Reformer sans en aviser ses camarades de classe
Les myrtilles. Je sais, on a lu partout que c’était la « superfood ultime ». Mais c’est moins le résultat de ses propriétés anti-oxydantes que celui d’une campagne de lobbying redoutable qui a fait s’envoler les ventes de myrtilles au Royaume-Uni.
Les plats en trompe-l’œil
Les boulangeries ouvertes genre deux jours par semaine entre 13h30 et 16 heures. Pour qui se prennent-elles ?
Réserver un restau en ligne. Déjà, parce que ça dilue notre relation avec les restaurateurs. Ensuite, parce que je ne supporte plus les douze enquêtes de satisfaction dont me bombarde la plateforme Zenchef après un dîner (« Avez-vous aimé la réservation ? » « Avez-vous aimé le restaurant ? » « Avez-vous aimé la façon dont on vous a relancé afin de donner votre avis sur le restaurant ? » « N’oubliez pas de nous donner votre avis sur votre expérience ! »)
Les crookies et autres pâtisseries-hybrides qui n’ont d’autre fonction que d’attirer en boutique, avec un mépris à peine voilé, des ados vissés à TikTok
Les tables en travertin. Quelqu’un du Bon Coin m’a d’ailleurs raconté que les recherches pour ce genre de pièces sont en chute libre.
Les quenelles de caviar servies sur tout et n’importe quoi (spaghettis, wagyu, chips, poulet frit) mais surtout, les quenelles de caviar dans les desserts. Sauf si vous vous appelez Bruno Verjus, qui a fait du pairing chocolat-caviar un classique (pompé par tous, égalé par personne).
Les bergers australiens. Moins contre eux que contre cette mode qui a convaincu des milliers de parisiens de promener dans les squares et les T2 des animaux dont la nature est de courser des brebis. Et puis où sont passés tous les shiba inu qui étaient partout il y a dix ans ?
Les morceaux suivants sur vos vidéos de vacances : Good Morning de Kanye West - Sunset Lover de Petit Biscuit - Wonderful de Paolo Conte - La Belle Vie de Sacha Distel - n’importe quel morceau de P.Diddy (pour raisons évidentes)
La course aux collaborations de marques qui s’entassent dans mes mails comme autant de prospectus dans ma boîte aux lettres (si je vois encore un hôtel de luxe vendre un sweatshirt Sporty & Rich avec une mauvaise typo Old Money, je me suicide)
« Voyager pour s’inspirer », ce qui revient à, comme le dit si bien mon amie Déborah Pham, « considérer les cultures comme des mood boards »
Les sorbets systématiques dans les desserts des restaurants gastronomiques
Les titres d’articles de presse qui commencent par « Anatomie d’un(e) ». Faites le test, tapez ces mots dans Google Actualité : voilà ce qui arrive quand les rédactions se séparent de leurs chefs d’édition
Les copies parisiennes des plats emblématiques de Saint-Sébastien au Pays Basque (le cheesecake de La Viña et le jaune d’œuf sur les cèpes sautés de Ganbara)
« Je vous souhaite un excellent appétit »
Les barrières partout dans Paris, ça a commencé sous le prétexte des JO puis elles ont envahi les rues dans l’indifférence générale. Maintenant toute la ville ressemble aux coulisses de Rock en Seine… sans le frisson de rouler des pelles à une célébrité et de finir la nuit avec un badge VIP et une IST
La collection de beaux livres Travel d’Assouline
Les études « très sérieuses » comme celle que m’a transmise l’attachée de presse d’une marque de pistaches et qui prétendait que manger beaucoup de pistaches permettait de lutter contre la myopie (histoire vraie)
Le dynamic pricing qui donne à la vie entière le mauvais goût d’une soirée roulette au Casino de Deauville
L’omniprésence des anchois dans les œufs mayo, dans le tartare de veau, dans la salade, dans la mousse au chocolat, dans mon dirty martini (IN : la sauce XO)
Les expressions « niché dans », « entre tradition et modernité », « les mots sur les maux », le verbe « infuser » et PAR DESSUS TOUT : le mot « pépite »
Les parfums d’intérieur capiteux dans les lobby d’hôtels
Les chefs qui tiennent à me raconter un « voyage culinaire »
Les « Maison », les « Officine », les « Atelier », les « Studio ». On a compris, votre marque se distingue de ses concurrentes en privilégiant une économie à taille humaine et des prix supérieurs de 22% à ceux du marché. Justifiez-le en investissant dans un artisanat de qualité plutôt que dans le cachet d’une boîte de consulting qui se moque de vous.
C’est tout pour aujourd’hui, mais j’adorerais savoir ce que vous ajouteriez à cette liste. Envoyez-moi vos idées ! N’ayez pas peur de me faire mal.
Merci d’avoir lu Carte Blanche ! La semaine prochaine je vous donnerai le seul bon conseil voyage dont on a tous besoin mais dont personne ne parle. Abonnez-vous pour ne pas le manquer :
- le vin nature à des prix aberrants
- les restos de petites assiettes
- le latte avoine à 6,5€
- les personnes qui marquent « dlg » (dans le goût) sur leurs annonces de mobilier Leboncoin
- Netflix
- la fève Tonka dans les desserts (il en reste)
- les nouveaux restaurants qui ne font plus que des plats à partager. On dirait que plus personne n'a le courage de signé un menu entrée/plat/dessert
- le style vestimentaire ET capillaire des cavistes de vins natures