Le supplément caviar est-il un truc de pauvres ?
Trois semaines d'opinions que personne n'a demandées.
Chers lecteurs,
Il faut absolument qu’on trouve un nom pour désigner ces bars, ces restaurants, ces clubs qui sont l’équivalent d’un ex toxique : on les quitte toujours en se promettant « plus jamais ça » alors qu’on sait, dans le fond, qu’on y sera de retour le week-end suivant. C’est la réflexion que je me faisais l’autre soir en quittant Le Cornichon, un bar séduisant avec son look de rade PMU ripoliné et ses bloody mary au Clamato, mais dont le staff a parfois un sens de l’accueil digne de Bruno Retailleau avec les migrants. Rien d’insoutenable mais personnellement, si j’ai envie de me sentir indésirable, je vais plutôt au COS de la rue Montmartre essayer un maillot de bain dans l’une de ces cabines d’essayage dont l’éclairage assassin fait toujours apparaître, comme par magie (noire), des zones de cellulite inédites. Peut-on faire plus « ponts de mai » qu’une newsletter qui vous parle de terrasses de bars, de Clamato et de cellulite ? Cette Carte Blanche sera courte et décousue à l’image des dernières semaines. Entre deux jours fériés, trois deadlines intenables et 148 messages automatiques d’absence dans ma boîte mail, j’ai publié un reportage dans ELLE sur le tourisme régénératif. Ce projet m’a fait passer une petite semaine dans le centre de recherche d’une primatologue de légende situé au fin fond d’une forêt tropicale inexplorée du Congo. Bien que j’y ai dormi parmi les gorilles silverback, les hyènes et les éléphants, mon souvenir le plus baroque restera la veille du départ, quand je me suis rendue dans la boutique Salomon du Marais pour acheter des chaussures à l’épreuve des randonnées et que la vendeuse m’a littéralement répondu : « Ah ouais non nous les baskets qu’on fait ici sont pas faites pour marcher. » De retour en France (après cinq jours en Converse dans la jungle, mais Jane Goodall elle-même a passé sa vie dans la savane en Converse, je ne regrette rien), j’ai vécu une première professionnelle dont je ne souhaite l’expérience à personne : pleurer en pleine interview. La coupable ? Chizuko Kimura, dont le récit m’a submergée. Le 31 mars dernier, elle est devenue la première femme cheffe sushi au monde à être récompensée d’une étoile Michelin. Dans cet univers largement dominé par les hommes, c’est un exploit, que je raconte dans le numéro de ELLE actuellement en kiosques.
Ma copine Margaux , qui écrit la newsletter Gymnastique, m'a récemment demandé si le désintérêt général pour les desserts au restaurant révélait une récession économique. Je lui répondais par l’une de ces notes vocales longues et indigestes dont j’ai le secret quand soudain, j’ai réalisé que le véritable indicateur de récession actuel, c’est l’option « supplément caviar » qui fleurit à la carte de tous les restaurants. Longtemps réservé aux étoilés Michelin et aux omakase, le caviar a commencé à devenir un gimmick en 2019, quand le chef Greg Marchand en a servi avec son poulet frit chez Frenchie, avant de tout envahir : les grilled cheese sandwichs d’Homer Lobster. Les Pringles goût crème et oignons chez Piccolo*. La salade de pomme de terre fumée, confiture de tomate et sauce mimolette de Minsoo chez Early June. Et, depuis le 1er avril, les nuggets du Burger King.


Mais quel est le rapport entre la désacralisation du caviar et la récession économique ? Un phénomène fascinant qu’on appelle le « lipstick effect » : en temps de crise, on observerait chez les consommateurs un appétit décuplé pour les micro-luxes. C’est l’héritier de l’empire Estée Lauder, Leonard Lauder, qui, en 2008, a affirmé avoir vu exploser les ventes de ses rouges à lèvres suite aux attentats du 11 septembre, alors que les ventes de chaussures et de maroquinerie de luxe se seraient, elles, tassées. Sauf qu’en 2025, on s’offre moins quelque chose pour soi que pour dire quelque chose de soi aux autres. Les algorithmes promeuvent une idée de la réussite personnelle complètement corrélée aux codes d’un luxe primaire et ostentatoire (yachts, grosses montres, dîners clinquants, sacs griffés) qu’Instagram agite sous le nez d’une génération qui est beaucoup plus précaire que celle de ses parents. Voilà pourquoi la Génération Z estime que pour avoir réussi, il faut gagner trois fois plus que l’estimation des Millennials :
Et puisque de toute façon, on ne pourra jamais accéder à la propriété, pourquoi ne pas se faire plaisir avec un supplément d’œufs d’esturgeon à 19 euros tellement photogénique ? Si l’idée vous séduit (et que vous ne l’avez pas déjà lue), je vous recommande à ce sujet ma newsletter précédente :
Quelques opinions non sollicitées en vrac :
Je sonne la fin des « nouvelles adresses à découvrir absolument » 🍴
Au profit des adresses où l’on a tout le temps envie de revenir. Je suis allée à Florence pour 48 heures et je suis retournée manger trois fois chez Cammillo, une trattoria ouverte depuis 1945 dans l’Oltarno avec des serveurs en nœud papillon, des crostini au foie de volaille et d’inoubliables tortellini al brodo dont je n’ai pas eu le temps de me lasser. Aucun regret d’avoir ignoré les autres adresses recommandées dans la ville.

Quelques leçons de mondanités apprises aux Time Out Awards 🪩
Les meilleures fêtes ont lieu le lundi, on veut plus souvent des dress codes flamboyants et il faut un peu plus qu’un burger au poisson pour éponger le flot d’un open bar. Je suis rentrée à la maison pieds nus, mes slingbacks à la main, ce qui est toujours le signe d’une grande soirée.
Un condiment pour les gouverner tous 🌶️
Je suis actuellement composée à 75% de la harissa verte Ottolenghi, qui va sortir à la Grande Épicerie de Paris en juin. À base de piment vert, de persil, de coriandre, de citron confit, de jalapeño, de vinaigre de pomme, d’épinards et de cumin, elle est incroyablement versatile : j’en mets dans mes œufs brouillés le matin, je la mélange à du yaourt grec au goûter et j’y trempe les nuggets du McDo les jours de gueule de bois.
Le fétichisme Le Creuset est devenu hors de contrôle 🟠
La marque française fête son centenaire cette année, accentuant un peu plus l’hystérie collective déclenchée par les cocottes multicolores dont l’ambassadrice la plus chic n’est autre que Joan Didion.
Aux États-Unis, l’effet de hype autour des ventes privées Le Creuset est tel qu’on les appelle Le Creuchella en référence au festival de musique et de botox Coachella. Lors d’une vente en Angleterre, la police a carrément dû intervenir. Mais le fétichisme Le Creuset a-t-il vraiment du sens quand les collections mises en scène sur Instagram et dans cet article du NYT n’ont clairement jamais touché une gazinière ? C’est la réflexion de cette excellente newsletter en anglais.
Dernière chance de se taper les meilleures pommes dauphines de la ville 💔
On m’a appris que le Cadoret, un restaurant qui ne m’a jamais déçue avec sa clientèle de quartier, son tartare à tomber, sa super sélection de vins nature et ses serveurs toujours arrangeants, a été vendu et va fermer cet été. Je ne m’en remets pas.
Il suffit d’une seule personne pour gâcher des vacances à 800 000 dollars 🛥️
La prolifération des superyachts est telle que le recrutement du personnel de bord, souvent jeune, fêtard et inexpérimenté, est devenu infernal, m’apprend un article du Wall Street Journal dont je vous recommande la lecture surtout si vous avez adoré le film Triangle of Sadness.
L’exorcisme, c’est la nouvelle rétrograde de Mercure 🔮
Trois amis qui ne se connaissent pas entre eux ont fait appel à une exorciste ces dernières semaines et je refuse de croire que c’est uniquement parce que je fréquente des gens névrosés. Il semble que l’astrologie en général et que la rétrograde de Mercure en particulier ne suffisent plus à expliquer les interminables enchaînements de galères dans une époque globalement anxiogène. De plus en plus de gens sont donc convaincus d’avoir été victimes de magie noire et se ruinent en sauge et en gros sel. Notons quand même que les séances d’exorcisme moderne ressemblent plus à une session spa qu’au film culte de William Friedkin : un copain a fait sa séance par téléphone, un dimanche soir, depuis son lit avec un masque à LED sur le visage et ça lui a couté moins cher qu’une séance de psy (50 euros).
Et le sauvignon blanc au piment jalapeño, c’est le nouveau rosé piscine 🥂
La boisson de l’été serait un verre de sauvy B dans lequel infusent des tranches de piment jalapeño passées au freezer. Une tendance qui fleurit sur TikTok, horrifie les sommeliers et me séduit malgré moi.
Mon conseil business préféré 💼
Dans le cadre d’une nouvelle collaboration, n’ayez qu’une seule exigence, mais ayez la meilleure : faites tous vos rendez-vous d’affaires Chez George, rue du Mail. Ce conseil business me vient de Delphine Plisson qui vient d’ailleurs de sortir un roman sur sa folle aventure entrepreneuriale. L’autrice de Laisse aller, c’est une valse, qui avait fondé la Maison Plisson en 2014, cumule le goût du saut dans le vide, un karma professionnel pour le moins déconneur et une légèreté à toute épreuve façon comédie des années 70 : évidemment que ses conseils sont de l’or.
Oubliez ce que j’ai écrit un peu plus haut sur la fin des « nouvelles adresses à découvrir absolument » 🍟
Mes nouvelles frites préférées se trouvent à L’Oursin qui a ouvert rue Yves Toudic il y a une dizaine de jours.
*Le bar Piccolo, dont j’avais dit du bien dans cette newsletter, a récemment fermé après que plusieurs clientes ont affirmé sur Instagram y avoir été droguées à leur insu. Si vous avez manqué cette sale affaire qui agite tout l’Est parisien, je vous recommande cet article de Libération.
si le supplément caviar peut faire partir aux oubliettes l’affreux supplément truffe dans tout et n’importe quoi why not franchement
Que ce soit messy et des avis totalement personnels c'est justement toute la force des newsletters !! Encore un numéro que j'ai dévoré