Un été rohmerdifiant
Êtes-vous plutôt Anthony Bourdain Summer, Annie Ernaux Summer ou Eric Ciotti Summer ? + phobies estivales, vertus de l'ennui en vacances et nourritures de Pantelleria
Newsletter entamée depuis mon lit, par 35 degrés et au son des hélicoptères qui volent au-dessus de Montmartre depuis trois semaines comme si on était à Compton ou dans un film de John Singleton. D’ici les vacances je tente de stopper la cuisson en errant dans les rayons surclimatisés du supermarché japonais Kioko et je regarde des films d’étés situés dans des villes désertées où l’on s’emmerde (sélection plus bas). J’entame, depuis les terrasses de bars, une étude comparative des mœurs des touristes (la solidarité enthousiaste et naturelle entre les touristes anglo-saxons n’a d’égal que les regards de haine que se jettent entre eux les touristes français). J’écoute en boucle Brat de Charli XCX qui en l’espace de quelques semaines est passé du simple statut d’album poppers à celui de phénomène poppers-culturel. On l’appelle Brat Summer, il a inondé les pages du New York Times (neuf articles sur le sujet), la campagne électorale américaine et le cerveau de ma copine Sandie.
De mon côté je passe plutôt un Eric Ciotti Summer, c’est à dire que j’ai éhontément retourné ma veste d’un point de vue idéologique : après plusieurs mois de JO bashing, de mauvais esprit et de blagues sur les bouillons d’arêtes d’Alexandre Mazzia qui vont sans doute compenser le bilan carbone des blindés qatari circulant dans Paris, me voici conquise par l’absence de chaos, de voitures et de touristes, par le métro presque aussi propre et organisé que celui de Tokyo et par l’allégresse généralisée. C’est simple, on se croirait chez mes parents quand ils reçoivent des invités. Autres suggestions :
White Lotus Summer : Flotter dans un océan de claquettes Hermès (vraies et fausses), ruminer vos frustrations conjugales au bar du Four Seasons, mal doser le rosé avec le Xanax
Anthony Bourdain Summer : Manger des phô, boire des negroni et fumer trop
Samyoukilis Summer : Filmer à leur insu les locaux sur son lieu de vacances méditerranéen, poster ces micro-scènes sur Instagram en affirmant son statut d’esthète sachant exhumer la beauté des petits riens, passer potentiellement pour un pervers auprès de vos voisins de serviette médusés
Annie Ernaux Summer : Bronzer à la piscine municipale de Cergy, insulter Macron et les élites
Eric Rohmer Summer : Être mince et contrariante, s’emmerder en s’écoutant parler d’amour et se demander dans quelle maison d’ami bien né on pourrait aller squatter jusqu’à la fin de l’été. C’est un motif tellement récurrent dans l’œuvre du réalisateur que j’appelle ça « se rohmerdifier ».
Rien n’est plus désirable que l’ennui l’été, d’ailleurs la photographe anglaise Lucy Laucht vient d’en tirer un livre qui s’appelle Il Dolce Far Niente (la douceur de ne rien faire) et ausculte cet art de vivre « typiquement italien ». Moi, je rêve de me rohmerdifier comme dans La Collectionneuse (faire la grasse matinée dans une bâtisse croulante du côté de Saint-Tropez, lire un bouquin sur le romantisme allemand, vivre en culotte, faire la gueule) mais à date je me rohmerdifie plutôt comme l’insupportable héroïne (capricorne et végétarienne) du Rayon Vert (me traîner dans un Paris vide, vivre en culotte, faire la gueule).
CINÉ-CLUB ROHMERDIFIANT
Une sélection de mes films d’été préférés qui ont tous en commun de s’intéresser au sort de ceux qui ne partent pas.
Le Fanfaron de Dino Risi
Rome, un 15 août. Vittorio Gassman quadrille la ville déserte à la recherche de clopes, il tombe sur Jean-Louis Trintignant qui révise son droit et se fait un devoir de le déniaiser le temps d’un week-end chaotique. C’est le film que j’aime le plus au monde.
I Comete de Pascal Tagnati
Chef-d’œuvre honteusement passé sous les radars dans lequel les plans fixes se succèdent comme des tableaux pour raconter le réseau de sociabilité complexe d’un village de montagne, plombé par la touffeur et l’oisiveté d’un été corse.
Eva en août de Jonas Trueba
Envie d’être cette femme restée à Madrid pour un été sans potes, sans culotte, sans projets, sans programme, sans rien. Ce film est aussi jouissif que sa bande-annonce est niaise, ne vous laissez pas refroidir par elle !
Summer of Sam de Spike Lee
Les rêves de Studio 54 et micro-drames amoureux de la communauté italo-américaine du Bronx laisse place à la psychose quand un tueur en série prend pour cible les jeunes femmes aux cheveux noirs pendant l’été le plus caniculaire de l’histoire de New York.
PANTELLERIACORE
Autre film très rohmerdifiant, A Bigger Spash de Luca Guadagnino, dans lequel on voit Ralph Fiennes hurler à Tilda Swinton « Pourquoi d’autre je serais venu sur cette île, bouffer des câpres ? » Hé bien oui Ralph Fiennes, si on vient à Pantelleria l’été, c’est bel et bien pour bouffer des câpres. Ils poussent à profusion le long de terrasses dont les murs de pierre de lave, montés à la main, façonnent la beauté insolente de cette île. Pantelleria se situe tellement au sud de la Sicile que le soir, on peut apercevoir la Tunisie qui se détache dans le soleil couchant. Parfois la brume monte au large, fait disparaître la ligne d’horizon, donne des couleurs surnaturelles au ciel et l’impression que rien n’existe au-delà. Angelo Sensini, qui est sans doute l’homme le plus élégant de l’île avec Giorgio Armani, m’a dit un jour que « connaître vraiment Pantelleria, c’est savoir où est son hôpital » et rien ne décrit mieux le caractère hostile propre à cette île. Tout assassine : les rochers tranchants, les oursins et les méduses, le soleil brûlant, la route à flanc de falaise, les prix, la végétation battue par les vents et nourrie par l’activité volcanique souterraine, toute en pics et en ronces.









Dénuée de plages, de resorts, de réseau, elle ne fait aucun effort pour séduire ses visiteurs et c’est peut-être ce qui rend fous, voir possessifs, ceux qui en tombent amoureux : bien malin celui qui saura résister à la tentation narcissique de vous expliquer qu’il vient sur cette île depuis bien plus longtemps que vous. Sous ses dehors revêches, Pantelleria réunit toutes les conditions d’un certain bonheur : vivre pieds nus, écouter le silence, tripoter des chats sauvages, explorer les fonds marins, compter les étoiles filantes, se gaver de gamberi rossi jusqu’à l’overdose. L’horizon gastronomique y est délicieusement restreint, ce que je considère comme le luxe suprême des vacances : rien ne me fout plus le cafard qu’un été qui prolonge l’injonction sociale de « faire » tel ou tel restau en vue ou le pop-up d’un chef « qu’il faut absolument connaître » à Ibiza. À Pantelleria, la question de qu’est-ce qu’on mange, elle est vite répondue : les pâtes au sardines, les vongole et le poisson frais à La Vela au bord de l’eau. Les negroni au bar du port Kayà Kayà. Gambero rosso XXL sur le parking du Laghetto delle Ondine. Les anchois au magasin Emporio del Gusto. Les glaces au chocolat et aux câpres chez Katia ou chez Ulisse. Les pâtes à la rascasse et le couscous au poisson d’Il Principe e Il Pirata. Le vin nature chez Tanca Nica au prix d’une crème Augustinus Bader. Les fruits et les légumes chez Zaza, à l’exception des figues qu’on vole au bord de la route. Les panelle dans les camions qui sillonnent l’île. Les arancini et la pizza piccante à la saucisse au fenouil chez Panificio Marrone Francesco. Et on recommence.
DES TRUCS À LIRE
Sélection 100% phobies estivales !
Libération consacre un grand sujet à la phobie de l’avion qui malheureusement n’aborde aucune des miennes (les hublots avec des traces de sébum, les gens qui applaudissent à l’atterrissage, les buffets offerts aux postillons des voyageurs dans les lounges), en revanche dans l’hebdo Air Mail un ancien prix Pulitzer publie un article qui est moins un article qu’un avis Google extrêmement défavorable vis-à-vis des compagnies aériennes américaines et de ceux qui les utilisent. C’est très drôle, mais j’espère ne jamais avoir à voler à côté de ce type.
N’en déplaise au numéro Spécial Sexe des Inrocks, aux dossiers Astro Sexe de toute la presse féminine et au hors-série estival « Crimes & Sexe » du Nouveau Détective, il semblerait que plus personne n’ait très envie de s’envoyer en l’air cet été. Ce serait la faute, selon la journaliste beauté Jessica Defino, à la généralisation de la toxine botulique dans nos visages qui, en effaçant les micro-expressions, fait également disparaître l’empathie et, in fine, la libido. Résultat : tout le monde fait du botox mais plus personne n’est excité.
Dans le New Yorker, un article fou raconte comment les moustiques, non contents d’enrichir les pharmaciens en pourrissant nos étés, ont eu une influence colossale sur la géopolitique du monde. On y apprend entre autres qu’en propageant la fièvre jaune dans cinq navires en expédition pour le Panama en 1698, ils ont endetté l’Écosse au point que celle-ci a dû consentir à s’unir avec l’Angleterre pour former la Grande Bretagne.
Dans Le Monde, une très belle série d’été sur les plages italiennes révèle le côté sombre de ces lieux de loisirs, de l’entre-soi un peu glauque des clubs Twiga au masculinisme des plages de l’Adriatique.
À ceux qui auront survécu à l’avion, aux plages privées, aux moustiques et à l’abstinence : on se revoit en septembre pour comparer nos marques de bronzage ! Abonnez-vous pour ne pas rater ça :
Heureuse d'avoir découvert Eva en Aout !