Tout ce que j'achète en avril
Les meilleures fraises de Paris, votre shopping list ultime chez Muji et une appropriation culturelle éhontée.
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Tandis que j’écris ces lignes, des gouttes de pluie tombent dans une cocotte Le Creuset posée derrière moi et rebondissent sur le parquet, le canapé, et une pile de vieux magazines. Chaque printemps c’est la même chose : il pleut sur mes pistes cyclables, dans mon appli Raintoday, dans mon appartement sous les toits classé passoire thermique et donc passoire tout court, dans la plus grande indifférence de mon propriétaire. Je devrais sans doute être au fond du gouffre mais la vérité c’est que je n’aimerais être ailleurs pour rien au monde pendant ce que j’appelle la saison Triple A (Averses, Allergies, Asperges). C’est le meilleur et le pire des temps, la saison de la lumière et des ténèbres, la formule n’est pas de moi mais de Charles Dickens qui devait sans doute habiter lui aussi dans un appartement isolé avec les pieds quand il l’a écrite. Parce qu’en parallèle, rien n’est plus joyeux que ces quelques semaines où, après avoir bouffé l’hiver par la racine, on sent l’air se charger de chlorophylle et on voit les étals des marchés ou du Franprix déborder d’artichauts, de rhubarbes, d’ail des ours, de petits pois, de fraises et d’asperges.
« Les premières asperges, c’est le signe de l’oxygène qui arrive » m’a récemment dit Christophe Pelé, le chef que je préfère au monde. Ce midi-là, au Clarence (2 étoiles, classé 28e au World’s 50 Best Restaurants), il venait de recevoir les premières févettes de l’année et a improvisé un oursin breton baigné d’une sauce ponzu ultra légère, de quelques févettes fraîches et d’une tranche d’oreille de cochon fine comme de la dentelle. Il n’est pas seul : en ce moment, je sens chez la plupart des cuisiniers une espèce d’euphorie généralisée. S’il est un moment de l’année où vous devriez manger dehors huit fois par semaine, faites-moi confiance, c’est maintenant. Chez Chakaiseki dans le 15e arrondissement, le chef tout juste étoilé Akiyoshi Yuichiro cuisine ces jours-ci des asperges blanches en tempura et sert au dessert une fraise entière fourrée dans un mochi maison couvert par une feuille de cerisier marinée au sel.
Au 19 Saint-Roch, le-nouveau-restaurant-dont-tout-le-monde-parle comme on dit en presse féminine, c’est tout chlorophylle : Pierre Touitou cuisine des petits pois dans un jus de cresson, des asperges croquantes, juteuses, marinées au gingembre dans un ajo blanco bien dense et un artichaut au foie gras et gésiers joliment servi avec quelques feuilles de capucine. Il y a dans ces assiettes un juste équilibre entre perfectionnisme, élégance et humilité, manger là-bas pour moi c’est avoir la sensation d’enfiler un vêtement parfait. J’y déjeunerais sans doute tous les jours si seulement j’avais lancé un compte Onlyfans de photos de mes pieds au lieu de cette newsletter gratuite mais bref.
Pendant la saison Triple A, la rue des Martyrs fait étalage de ses asperges scintillantes à 24 euros le kilo, on se croirait place Vendôme. Au numéro 21, le magasin d’alimentation Berrie se met à vendre des fraises qui sont légendaires à tous points de vue, couleur, sucrosité, jus, prix (6,50€ les 12). Leur défaut étant qu’une fois qu’on les a goûtées, c’est difficile d’en aimer d’autres. J’ai demandé au fondateur de Berrie, Olivier, de m’en dire plus :
Enfin, si vous avez de la chance (et beaucoup d’argent), vous dégusterez peut-être au cours de cette saison Triple A des lagrimas de costa, que les plus grands chefs s’arrachent, qu’on surnomme le « caviar vert » et qui sont tellement plus précieuses que le caviar. Ces petits pois en forme de larmes, si fragiles et délicats, sont cultivés dans quelques parcelles au sommet des falaises de Getaria, en Pays basque espagnol, et coûtent 500€ le kilo. Leur saison est archi-éphémère, leur récolte et leur décortiquage se font intégralement à la main et un kilo de gousses ne donne que 90 grammes de lagrimas. C’est l’incarnation la plus pure du mono no aware, ce concept japonais que Wikipedia et tous les blogs nippophiles d’Internet traduisent par « l'empathie envers les choses » ou « la sensibilité pour l'éphémère ». Concrètement, l’intensité sensorielle vis-à-vis d’un phénomène naturel (le meilleur exemple étant la saison des cerisiers en fleurs) est proportionnellement inverse à la durée de celui-ci (quelques jours dans l’année). Pour simplifier encore plus : c’est d’autant plus beau que c’est bientôt mort et dans un accès éhonté d’appropriation culturelle c’est 100% mon état d’esprit depuis que j’ai vu la joie dans les yeux d’un vieux monsieur japonais au quotidien bien réglé s’émerveiller chaque matin de la beauté du ciel et des mouvements des arbres. C’était dans Perfect Days de Wim Wenders :
Le prix des choses*
Depuis que j’ai vu Perfect Days de Wim Wenders, donc, je n’ai qu’une envie c’est nettoyer les toilettes publics de Tokyo cultiver une existence routinière, minimaliste et bien ordonnée pour laisser toute la place possible à la beauté et l’impermanence de ce qui m’entoure. Une envie de dépolluer ma vie qui m’a inévitablement conduite chez Muji. J’aime l’effet thérapeutique de cette enseigne; j’ai toujours l’impression que ce que j’y achète va changer mon quotidien. Et à vrai dire, les objets suivants l’ont fait :
De gauche à droite et de haut en bas :
-Un moule à glaçons sphériques (7,95€) pour faire à la maison des ice balls comme ceux qui accompagnent les whisky qu’on sert dans mes bars japonais préférés à Paris (Shubō, Stand Tora) parce qu’ils fondent moins vite qu’un glaçon cubique.
-La pochette de voyage la plus pratique du monde, 100% imperméable, lavable à l’infini, j’en ai genre dix et je m’en sers pour tout compartimenter dans mes valises comme dans ma vie.
-Un sachet de morceaux de cèdre (4,95€) que je glisse entre mes pulls pour repousser les mites.
-Les contenants de salle de bain que je collectionne depuis mon premier voyage au Japon en 2013 : le gros tube est parfait pour le shampoing, le plus petit sert au dissolvant et le spray, je le remplis de sauce Maggi, de vinaigrette ou de sauce soja et je l’emmène partout avec moi (2,50€).
-Le plus incassable des miroirs de voyage, 3 faces et un pied inclinable, avec lui je pourrais me faire un contouring de compétition dans les toilettes d’un avion (13,95€).
-Les carnets les plus pratiques du monde avec leurs pages satinées et leurs spirales qui ne se tordent jamais (2,95€). J’en ai de toutes les tailles un peu partout dans mon appartement et dans mon sac.
-Un range-câble qui fait aussi support d’iPhone pour regarder les Real Housewives dans le train, non mais admirez ce chef-d’œuvre de design et d’ingéniosité (3,50€).
-La boîte à savon de voyage dont je me sers comme pilulier ou boîte à bijoux (3,95€).
-La soupe de tomate épicée lyophilisée, une aberration nutritionnelle à laquelle je suis un peu accro (4,95€).
-L’infusion thym camomille et gingembre que je bois par litres (2,95€).
-Les chaussettes, je ne les achète que là, elles sont incroyablement confortables et tiennent des années (4,95€).
Hors photo, le vrai bon achat chez Muji, c’est la valise cabine ultra légère et bien pensée. Elle a pour moi le meilleur rapport qualité-prix sur le marché (199,95€), et c’est, paraît-il, le secret le mieux gardé des stylistes.
*les produits et sujets mentionnés ici ne font l’objet d’aucun partenariat, affiliation, cadeau. Cette newsletter est indépendante et n’a aucune vocation commerciale.
Des trucs à lire
Vous avez vu l’incroyable mec qui a fait du patinage artistique sur le générique de Succession ? Il faut absolument que vous regardiez l’incroyable mec qui a fait du patinage artistique sur le générique de Succession.
Les restaurants members-only cartonnent à New York et ce n’est selon moi qu’une question de mois avant qu’un groupe de restaurants festifs ne s’empare de l’idée pour Paris.
Pour les non-membres, les galères de réservation continuent, elles créent des tensions de plus en plus vives entre clients et restaurateurs et certaines situations tournent carrément au thriller psychologique, je rêve d’une adaptation hollywoodienne.
19 appartements parisiens complètement hors sol à louer sur Airbnb
à l’heure où l’hystérie des JO bloque le marché locatif parisien et aggrave une crise du logement déjà historique, qui me font mieux comprendre pourquoi les Américains s’imaginent que la capitale ressemble vraiment à un épisode d’Emily in Paris.Un sujet que j’ai toujours rêvé d’écrire, parce que j’ai toujours rêvé de le lire : comment apprendre à négocier comme un négociateur de kidnapping.
Merci d’avoir lu jusqu’au bout cette Carte Blanche ! La prochaine fois, on se demandera ce qui nous a tous convaincus que manger nos légumes avant le reste du repas allait changer notre vie.
Vous l’écrivez tellement bien cette lettre, que vous donnez envie de tout ce que vous citez : les 3 A, regarder le ciel au réveil (je le fais déjà mais je le ferais avec les yeux plein de bonheur de l’acteur du film de Wenders), et acheter vos indispensables chez Muji ! Merci chère Constance
On veut le lien du patineur sur Succession !