Salut la France qui vote !
Cette édition devait initialement s’en prendre à tout ce que Paris compte d’agents immobiliers, mais les récentes décisions managériales d’un certain pyromane installé à la tête de l’Etat en ont décidé autrement. Je n’ai absolument pas envie de parler de politique ici mais enfin, peut-être que ce matin vous vous sentez un peu comme ça :
Peut-être ressentez-vous également ce truc très ancré en moi depuis l’enfance et qui vient de refaire surface : de la sixième jusqu’au bac, il n’y a pas eu une année scolaire pendant laquelle je n’ai pas entendu un prof affirmer qu’on était la classe la plus nulle, la plus dissipée, la plus mal barrée dans la vie. Transmettez à vos potes enseignants : si vous espérez générer ainsi une pulsion de win revancharde, sachez que vous ne cultiverez tout au plus chez vos élèves qu’un vague sentiment de honte d’être systématiquement au mauvais endroit et au mauvais moment, doublé d’un pessimisme vague et apathique. Hier soir, devant ma télé, j’ai pensé qu’en tant que pays, on était vraiment la pire classe de quatrième. Et j’ai ressenti comme une urgence de lister, avant que ça ne disparaisse dans le gros nuage noir qui se formait au-dessus de ma tête, tout qui me fait adorer la France anyway et qui me remplit d’orgueil :
Et si vous cherchez une échappatoire un peu plus radicale à la situation politique actuelle, vous pouvez par exemple :
Faire Sécession
Si vous avez honte d’être Français, faites comme tous mes amis qui ont quitté le XIXème arrondissement pour Guéthary au moment du Covid : autoproclammez-vous Basque, et même plus Basque que les Basques ! Collez votre progéniture dans une ikastola, envoyez des « milesker » à votre boulangère, plaignez-vous des Parisiens qui viennent squatter VOS vagues, mais surtout, surtout, allez dîner au Petit Grill Basque à Saint-Jean-de-Luz. Entre les mains d’Iñaki Aizpitarte, cette institution cuisine magnifiquement les classiques d’un Pays Basque un peu malmené par le surtourisme et la tentation folklorique qui avait réduit la région à son jambon de Bayonne et à son piment d’Espelette.
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À la carte, les tapas que l’on trouve de l’autre côté de la frontière (gildas, croquettas, pintxos aux anchois), mais tellement plus soignées et délicieuses. Du thon blanc de ligne confit dans les herbes et le gras de porc Kintoa. Un mélange d’herbes fraîches liées à la pomme de terre et aux œufs de truite. Un special pour deux servi à même la poêle, que j’ai fait l’erreur de ne pas commander et je le regrette chaque jour depuis : arroz seco et carabineros, ces grosses crevettes écarlates dont on arrache la tête pour en presser le jus au dessus du riz et le lier. C’est un restaurant où j’aurais adoré aller avec ma grand-mère. Sa déco archi-traditionnelle m’aurait sans doute fait hurler à 15 ans; aujourd’hui j’adore. À moi aussi, elle donne envie de claquer des « milesker » à tout va.
Petit Grill Basque, 4 Rue Saint-Jacques, 64500 Saint-Jean-de-Luz.
Rentrer dans les ordres
C’est peut-être à cause de mon séjour à l’Hôtel du Couvent à Nice, où plane partout l’esprit des visitandines qui ont occupé pendant presque quatre siècles cet incroyable édifice religieux. Son architecture intérieure signée Festen, suggérant les codes de la vie monastique et qui me fait googler des trucs de type « lavabo bénitier » et « bougeoir mural en bois ». Ou peut-être parce que mon uniforme de l’été composé de cette robe et de ces sandales me donnent la dégaine d’un moine grec. Peut-être enfin parce que j’ai redécouvert cet article de Léo Bourdin sur la cuisine sacrée des sœurs du Mont-Saint-Michel et le magnifique livre de recettes qu’en a tiré la photographe et styliste culinaire Laurence du Tilly. Mais la vie monacale et retirée du monde m’avait jamais parue aussi furieusement séduisante.
Cultiver le flou identitaire
Comme le chef et ami Rob Mendoza qui est Californien mais qui a appris à cuisiner dans les montagnes mexicaines, chez ses grand-parents, et qui confectionne ces jours-ci de la pasta et des polpette formidables au nouveau restaurant italien Scarpetta dans le IXème. Vraiment le genre de métissage culinaire décomplexé qui a permis à Paris de reconquérir son statut de capitale food de premier plan, n’en déplaise à certains.
S’imprégner de beauté
Sylvie Guillem, Paquita à l’Opéra de Paris, 1984 :
Le prix des choses
Envie de tout faire péter ? La Grande Épicerie de Paris vient justement de mettre en rayon les sauces piquantes de l’émission Hot Ones, dont les scores sur l’échelle de Scoville évoquent plus volontiers la catégorie « cocktails molotovs et armes incendiaires artisanales » que la rubrique « épicerie fine » d’un eshop. Vous n’avez jamais regardé ce show YouTube dans lequel des célébrités en promo challengent leurs intestins avec des morceaux de poulet frit imbibés de hot sauces qui devraient être interdites dans l’UE ? Je vous recommande l’épisode de Jennifer Lawrence mais aussi celui d’Alexandre Astier (version FR) parce qu’il y explique avec beaucoup de justesse et d’intelligence ce que signifie être auteur. On ne parle pas assez du génie curateur de La Grande Épicerie, qui a pourtant déjà importé la vodka pasta sauce de Heinz et surtout la sauce Dallas de Dikkenek. Cette fois-ci, quinze sauces allant de 4 000 à 600 000 sur l’échelle de Scoville. J’en ai reçu cinq, j’ai commandé une boîte de 20 nuggets au McDo, j’ai enlevé mes lentilles de contact et je me suis mise à table.
12,95€ : Heartbeat Pinneaple, 6 000 sur l’échelle de Scoville
Un mélange de piment habanero et d’ananas, une texture crémeuse, un goût de fruit frais. Délicieuse, c’est un vrai bonbon, elle ne passera clairement pas la semaine.
16,90€ : Hot Thaï Green Sauce Reaper de Seed Ranch, 14 000 sur l’échelle de Scoville
Une sauce archi-liquide, herbacée, citronnée, une pointe d’acidité qui laisse doucement place à un feu long et dévorant provoqué par le Green Carolina Reaper, élu piment le plus piquant du monde de 2013 à 2023. C’est un cultivar créé par un malade mental qui s’appelle Ed Currie et qui a sciemment croisé des piments habanero des Caraïbes avec des piments Naga Bhut Jolokia du Pakistan dans le seul et unique but de punir très très fort tous ceux qui pêcheront par orgueil en croquant dans l’une de ces micro-bombes. Mais cette sauce-là est parfaitement dosée, tout à fait addictive, c’est mon coup de cœur de l’aventure. Elle doit être délicieuse dans une soupe à l’oseille.
12,80€ : Cheeba Gold de High River sauces, 60 000 sur l’échelle de Scoville
J’ai dû m’en resservir trois fois pour sentir un soupçon de moutarde et de curry. Par contre à ce stade mon nez commence à couler tout seul et ma température corporelle grimpe d’un coup. C’est pas du piment, c’est du poppers.
26,90€ : Honey Badger de Torchbearer, 100 000 sur l’échelle de Scoville
Un mariage osé de Carolina Reaper et de Trinidad Scorpion, deux des piments les plus puissants au monde. Ma langue hurle et rien ne semble pouvoir éteindre la brûlure qui transperce ma bouche : mes papilles se foutent en grève, la présence de moutarde au miel dans ce flacon est purement théorique. Sa texture épaisse et collante et ses effluves d’abrasif industriel en font une candidate de choix pour le futur décapage des poutres de mon appartement.
13,70€ : Carolina Reaper de Hellicious, 1 200 000 sur l’échelle de Scoville
Alors déjà quand je l’ai sentie j’ai éternué. Puis j’ai gobé mon nugget d’un coup, grave erreur. Ça prend feu partout : la langue, le palais, le fond de la gorge. J’essaie de saliver, ce qui relance et prolonge la sensation de brûlure. Cette sauce produite en France (enfin, dans le Bas-Rhin) est à 100% composée du vilain Carolina Reaper. Je la sens jusqu’à l’intérieur des oreilles, qui commencent à bourdonner. J’ai envie d’en regoûter, j’ai aussi très envie de la jeter sur Cyril Hanouna.
L’honnêteté intellectuelle me force quand même à vous préciser que cette expérience n’est rien à côté du mapo tofu que j’ai un jour commandé dans un restaurant chinois du IXème qui s’appelle Carnet de Route. Le bol fumant posé devant moi m’a immédiatement brûlé les yeux. La vapeur de piment s’est insinuée dans mes narines, dans ma gorge, ressuscitant ma première expérience de bombe lacrymo pendant les manifs anti-CPE en 2006. Dès la première bouchée, j’ai vu ma vie défiler devant mes yeux. Il n’y en a pas eu d’autre bouchée : j’ai demandé un doggy bag pour sauver la face, et finalement balancer dans mes toilettes ce maudit tofu qui a sans doute débouché les canalisations de mon immeuble pour les dix années qui ont suivi.
Merci de m’avoir lue jusqu’au bout ! Cette Carte Blanche n’est pas encartée : elle est indépendante et ne fait l’objet d’aucun partenariat. Je n’enverrai sans doute pas d’autre newsletter d’ici le prochain vote, je vous laisse donc méditer sur cette question politique qui nous vient de ma nièce de 8 ans et qui m’obsède :