On est tous la punaise de lit de quelqu'un
Cette semaine, un bingo interdit, un fétichisme Joan Didion et comment réserver l'inréservable.
J’avais commencé à écrire un truc sur les vertus hallucinogènes du bœuf wagyu quand ma copine Sandie m’a envoyé ce message plein de sagesse et, sans le savoir, a changé la destinée de cette newsletter :
Être une punaise de lit, m’explique-t-elle, c’est arriver dans la vie de quelqu’un « en mode non sollicité et impossible à éradiquer ». C’est donc faire preuve d’une certaine lourdeur, mais également de résilience et d’une grande force de caractère face à l’adversité. Être une punaise de lit, c’est, d’une certaine façon, oser défier l’impossible comme si l’impossible n’existait pas. Et c’est là que j’ai réalisé : mon petit-ami, c’est la punaise de lit de la Colombe d’Or. La Colombe d’Or, c’est cette auberge de Saint-Paul-de-Vence dont les chambres sont quasi-impossibles à booker et dont la collection d’art moderne est légendaire : durant des décennies, les Picasso, César, Miró et autres Matisse y ont séjourné à l’œil en échange de quelques œuvres (les influenceurs n’ont rien inventé). La Colombe d’Or a ensuite abrité les amours de Simone Signoret et Yves Montand et hébergé Juliette Greco, Francis Coppola, Sophia Loren, François Truffaut… Il paraît même que Madonna s’y est pris une porte.
C’est mon hôtel préféré sur Terre. J’aime que la Colombe d’Or soit chic mais pas luxueuse. J’aime sa lumière, qui a attiré tant d’artistes. Sa piscine carrelée de vert est parfaite, température parfaite, proportions parfaites, surplombée d’un mobile de Calder sous lequel j’adore m’allonger et que systématiquement j’oublie si bien que je ne manque jamais de m’y cogner la tête quand je me relève. J’aime que le bruit des cigales ne soit pas noyé sous une playlist lounge comme c’est devenu le cas partout. J’aime que le soir venu, le système de sécurité empêchant l’accès à la salle de restaurant qui abrite tant d’œuvres d’art inestimables consiste en une simple chaise posée au milieu d’un couloir. Surtout, j’aime que tout y soit figé dans le temps. Le staff, qui est immuable. Les chambres, avec leurs clims géantes, leur tuyauterie paresseuse et les pèse-personnes à moquette dans les salles de bain. Le menu petit-bourgeois, qui me ramène 25 ans en arrière. Et le système de réservation. Qui consiste à appeler la réception et s’entendre répondre que l’hôtel est complet. Complet, oui, quelle que soit la date. Alors chaque printemps, mon petit-ami enfile sa tenue de punaise de lit. Et il appelle l’auberge. Chaque jour. Inlassablement. Pendant des semaines ou des mois s’il le faut. Jusqu’à ce que la réceptionniste lui annonce qu’une annulation a eu lieu et qu’une chambre est disponible.
Il faut parfois jouer les punaises de lit pour réserver l’inréservable et c’est ok. « Depuis que j’ai un point de vue moins spéciste sur les punaises de lit vu que j’en suis une moi-même, m’a dit Sandie, ça m’a presque détendue sur ma parano actuelle. » Ce qui n’est pas rien puisque la veille, elle était encore en train de fourrer ses jeans dans son congélateur.
Le prix des choses
Bien manger au prix d’un McDo.
12,90 € : Un jambon-beurre extraordinaire
Loin de moi l’idée de la jouer « c’est le meilleur jambon-beurre de Paris » mais vraiment c’est le meilleur jambon-beurre de Paris. Et ce n’est pas un secret : Caractère de Cochon, situé dans le Marais et recommandé par le New York Times, est toujours rempli de touristes à l’air ahuri et tous passent à côté de sa meilleure charcuterie : un jambon blanc infusé à la bergamote très parfumé, généreusement fourré dans une demi-tradition avec du beurre et un comté bien fleuri. Un monument parisien.
8,50 € : Du sel au combava
J’en ai reçu la semaine dernière et c’est comme ça que j’ai appris l’existence à dix minutes de chez moi d’une épicerie entièrement consacrée aux agrumes rares. Tous les produits (marmelades, miels, limoncello) y sont élaborés à partir de la production d’une même plantation située dans le Var, yuzu, citron caviar, kalamansi… Le sel au combava de Lemon Story est si parfumé qu’il m’arrive de l’ouvrir pour le seul plaisir de le renifler mais il est aussi redoutable sur des Saint-Jacques crues, dont la saison vient justement de démarrer.
16 € : Une tarte au foie de volaille
Si les pop-ups culinaires en tout genre me semblent souvent surcotés, il existe un restaurant qui m’a réconciliée avec les résidences de chefs. Chez Early June, les cuisiniers en rotation viennent de Suède, de New York, du Japon. Ils sont tous un peu punks, voyageurs, toujours brillants, jamais show off et proposent une cuisine qu’on ne pourrait jamais goûter autrement à Paris. En juin, j’ai ainsi mangé de l’écorce d’arbre, des fleurs d’arbre, des champignons et des piments inconnus arrivés dans les valises d’un jeune chef polonais aux cheveux verts qui avait un restau à Shanghai. Et là, pour une dizaine de jours encore, c’est Sahin, venu tout droit de Malmö avec des plats turques (böreks, mantis, dolmas) et des influences nordiques. Sa tarte au foie de volaille, un produit beaucoup trop peu utilisé dans les restaurants à mon goût, est un délice dont je ne me lasserai jamais.
Des trucs à lire
Le luxe discret du cachemire Loro Piana n’est plus si discret depuis que les tech boys de la Silicon Valley se les arrachent. J’ai d’ailleurs frôlé l’achat d’une contrefaçon cette semaine, que j’ai dénoncée à Vestiaire Collective telle une Karen. L’annonce a été supprimée mais il y en a des dizaines d’autres. Faites gaffe !
Vous avez aimé les punaises de lit ? Vous allez adorer les French Tacos ! Mon abérration culinaire préférée vient de débarquer à Seattle.
En kiosques dans le vrai monde, on a publié dans le Elle de cette semaine un très bon guide de la chine (le vide-grenier, pas le pays) avec les insights des experts (de Selency, le Bon Coin, Drouot…) sur les cotes qui vont monter dans 6 mois et une intervenante de luxe : Carine Roitfeld.
Le meilleur souvenir de vacances ? Le dentifrice, selon le New York Times. Moi j’ai bien passé dix ans à ramener des bouteilles d’arôme Maggi de tous les pays d’Asie où j’ai mis les pieds alors qui suis-je pour juger ?
Finies les Girl Bosses, la Génération Z embrasse la Snail Girl Era. En d’autres termes, elle troque le carriérisme propre aux millenials contre une existence ralentie où prime leur bien-être. Un trend TikTok qui fait écho à cet article que j’avais lu en 2022 et qui disait notamment : « On est en train de se rendre compte que nos jobs ne nous aimeront jamais en retour. » Ça fait un an que cette punchline vit dans ma tête sans payer de loyer.
Bonus :
Je suis tombée par hasard* sur cette incroyable braderie Le Creuset qui dure jusqu’au 9 octobre avec -30% sur toute une collection de cocottes en fonte bleu ciel mais aussi la classique qu’avait Joan Didion et cette beauté en inox qui fait panier vapeur et me donne envie d’y cuisiner un ragu bianco et des dim sum en même temps. Si je n’étais pas au bord de l’interdit bancaire j’y achèterais la plupart de mes cadeaux de Noël.
*Je précise « par hasard » pour dissiper les doutes possibles : cette newsletter ne fait l’objet d’aucun partenariat, aucun lien affilié, zéro dimension commerciale, mon plus beau cadeau c’est vous
Un jeu
C’est la première fois depuis le Covid qu’autant de restaurants hyper attendus ouvrent à la même période (Manon Fleury chez Datil, Masahide Ikuta chez Donna, Luis Andrade à Cheval d’Or, Assaf Granit au Grand Mazarin, Eugénie Béziat au Ritz mais aussi Pierre Touitou, Adrien Cachot, Gianmarco Gorni…) et ceux-ci vont immanquablement s’accompagner d’une valse de communiqués de presse, d’articles et de critiques en tout genre. Je trouve que c’est très dur d’écrire sur un restaurant sans enfoncer des portes ouvertes ou aligner des platitudes ou dégainer des éléments de langage pré-mâchés. Les auteurs qui savent éviter ces écueils ne sont pas légion car cela demande un talent qui je crois ne s’invente pas et comme dit Fran Lebovitz au sujet du talent : « on peut travailler plus et devenir meilleur, mais on ne devient jamais doué ». Soit on l’a, soit on ne l’a pas. Personnellement, je ne l’ai pas et j’ai de toute façon toujours trouvé que ceux qui en parlent le mieux, ce sont les cuisiniers eux-mêmes. Mais bon il ne manquerait plus qu’ils écrivent leurs communiqués de presse eux-mêmes, voire leurs propres articles, la moitié de l’Est parisien se retrouverait au chômage technique, non vraiment ce n’est pas la solution. Alors qu’est-ce qu’il nous reste ? Un bingo. J’y ai compilé tous les éléments de langage qui devraient être bannis aussi sûrement qu’on a banni les sulfites des cartes de vin.
À chaque ligne complétée, vous avez le droit d’aller cramer votre PEL dans un sophistroquet à petites assiettes et de regarder le serveur s’accroupir à côté de vous en disant « Vous connaissez le principe ? Ici toutes les assiettes sont à partager et on vous conseille d’en commander entre 3 et 5 par personne pour une petite faim et environ 18 si vous avez une grosse faim. Je vous mets un pairing avec ça ? »
La prochaine fois, je vous raconterai une histoire de pain fantôme.
Ce bingo 😂😂😂😂
Encore une gourmandise cette newsletter 🙌✨
Je me rappelle avoir été une punaise aussi avec Tom, le fondateur de Tableaux Paris. A la limite du harcèlement!
Mais ça a fini par payer : ont vu le jour une collaboration entre Neptune Elements (ma marque) et Tableaux, et une amitié en bonus ⚡️💙
Hâte de lire les prochaines pensées,
Cécile (co-fondatrice de http://neptuneelements.com et auteure de https://cecilebury.substack.com/)