Le « quiet luxury » d'une gueule de bois
La plus belle table de Paris, un poème sur le Mont d'Or et mes pires achats 2023
Il existe à Paris un endroit qui me fait l’effet d’un abri anti-atomique. Parce qu’il est en sous-sol, que son acoustique y est parfaite, que son décor y est dépouillé, utilitaire, et que ses hôtes s’y meuvent en silence d’une façon mystérieusement chorégraphiée. C’est comme être dans le ventre du bon goût. C’est presque toujours vide et je m’installe face à une table noire, la plus belle de Paris, longue d’une dizaine de mètres et constituée d’une pièce de bois brûlé taillée dans la longueur d’un arbre probablement majestueux. Ses veines profondes se révèlent grâce à la lumière comme dans une œuvre de Soulages et je les caresse toujours comme si c’était la fourrure d’un chat. On raconte que Monsieur Ogata aurait pété un câble quand on lui a annoncé qu’il allait falloir tailler son précieux comptoir en deux morceaux pour réussir à lui faire passer l’escalier étroit qui descend dans les entrailles du Marais.
C’est l’endroit parfait où me réfugier quand je ressens le besoin de me purifier d’un dîner à rallonge, d’une semaine de travail difficile, d’un paquet de menthol fumé la veille ou d’un marathon d’épisodes de Frenchie Shore. J’y ai vécu ma plus belle gueule de bois, un samedi midi, seule avec le maître de thé Katsuhito Imaizumi qui m’a ressuscitée en me servant une infusion de noisettes, un porridge de riz salutaire et un matcha de classe internationale. En cette fin d’année qui semble particulièrement difficile pour chacun d’entre nous, les lieux où fuir la tension ambiante sont précieux, encore plus quand ils sont dépourvus de réseau. Et quelques heures dans SABŌ, ça vaut tous les Xanax.
SABŌ - OGATA paris, 16, rue Debelleyme.
La valeur-refuge de l’automne
Vous avez remarqué ? Le Mont d’Or, cet emblème historique des dîners étudiants et des soirs de flemme se tape un retour de hype sensationnel dans les restaurants depuis plusieurs semaines. Le Mont d’Or, c’est le Raphaël Quenard de la food : un pur produit de la France populaire soudainement porté aux nues, décliné à l’infini et même habillé des apparats les plus précieux et iconoclastes de la cuisine. Et terriblement bankable puisque sur certains menus, on le trouve au prix d’un ris de veau.
Chez Buttes Snack Bar, bar à vin primé ce mois-ci par le Fooding, on twiste le Mont d’Or avec une chili oil. À deux kilomètres de là, le chef irlandais Adam Purcell en cuisinait un avec du sésame et de l’huile japonaise rayu chez Early June. Mais celui qui m’obsède le plus, on le trouve Chez Stina. Esu Lee, l’un de mes cuisiniers préférés, le sert avec une confiture au piment, un peu de coriandre, un beignet frit youtiao à tremper dedans et, depuis peu, un peu de katsuobushi, ces flocons de bonite séchée tellement légers qu’ils semblent danser sous l’effet de la chaleur. Un hit instantané. J’ai demandé à Esu de me raconter comment il avait eu l’idée de ce plat et fidèle à sa nature, il m’a fait une réponse qui est moins une histoire qu’un poème :
Chez Stina, 117 Rue de la Roquette, 75011 Paris.
Des trucs à lire
L’incroyable routine wellness de Taylor Swift pour survivre à sa tournée dantesque (8 mois, 66 concerts de 3 heures et plus de 40 morceaux). J’ai une fascination tordue pour les routines hardcore des gens, c’est-à-dire que je ressens un certain dégoût envers leur côté performatif et capitaliste (« Sors de ton lit à 5 heures du matin comme Anna Wintour et tu deviendras une winneuse ! ») mais à la fois je rêve complètement d’en être. Si vous partagez cette névrose, jetez-vous sur le prochain numéro de ELLE jeudi prochain, une journaliste que j’adore y signe, sur ce thème, un de mes sujets préférés de l’année.
Peach Fuzz, c’est la couleur de l’année 2024 tout juste révélée par Pantone et qui m’évoque instinctivement le style de Nicole Kidman dans Prête à tout :




Pour qualifier cette teinte ni orange ni rose, le New York Times parle de « noncommittal shade », une couleur qui refuse de s’engager. Vaste programme dans une période où l’on commente les guerres et l’on choisit son camp comme si c’était des matchs de foot. Allez, « noncommital », ce sera ma première résolution de 2024.
Si vous avez vu passer le défilé de Balenciaga à Los Angeles la semaine dernière et que vous vous êtes interrogé devant le sac de supermarché Erewhon exhibé par Kim Kardashian (ainsi que toutes ces vidéos d’influenceurs ravis de boire des smoothies Erewhon à 18 dollars), lisez absolument cette magnifique enquête parue dans le New York Magazine un mois plus tôt. Kerry Howley y raconte comment, dans les années 60, un couple de Japonais a fondé un mouvement de macrobiotique aux allures de secte, et comment ce mouvement est devenu Erewhon, temple californien de la food healthy, aujourd’hui plus emblématique du star-system hollywoodien qu’une casquette Von Dutch en 2003.
Pendant ce temps de notre coté de l’Atlantique, le géant américain du donut Krispy Kreme ouvre sa première enseigne au Forum des Halles et Le Monde s’interroge sur ce que l’explosion des fast-foods dit de la France. Il y a tout ce que j’aime : des infographies, une belle histoire de revanche sociale (la création de l’empire O’Tacos par un plaquiste de banlieue) et des réminiscences de ma propre adolescence, quand j’avais cinq euros d’argent de poche par semaine et que je les investissais intégralement dans les hamburgers à 75 centimes du McDo de Mourenx parce que c’était tout simplement le meilleur endroit pour faire des eye-contacts avec des mecs.
Le prix des choses*
Un bilan de mes meilleurs (et mes pires !) trouvailles de 2023.
45€ : Un accessoire de bureau indispensable
Je l’ai trouvé dans un magasin de camping. J’ai une véritable passion pour toutes les marques japonaises d’outdoor : la randonnée étant au Japon une affaire presque aussi importante que la cuisine, les magasins de montagne regorgent d’incroyables accessoires pour cuisiner et manger en pleine nature avec la qualité et le confort d’un étoilé. Parmi eux, ce kit de couverts Montbell qui se vissent et se dévissent pour devenir une paire de baguettes en bois font de chaque déjeuner passé derrière mon ordinateur en open space un moment incroyablement satisfaisant.
35€ : Un tee-shirt blanc presque parfait
Pas tout à fait l’aboutissement de cette quête infinie (et un peu universelle, non ?) du «bon » tee-shirt blanc mais enfin écoutez, c’est le premier du genre que je ne me mets pas à détester après l’avoir porté trois fois. La coupe est honorable, le tissu est épais, il a l’air encore neuf après dix machines. Chez COS ils l’appellent « le tee-shirt chic » (meilleure façon de dépouiller une pièce de son chic mais bref). Deux infos glanées dans ma quête : les meilleurs tee-shirts blancs se seraient trouvés chez feu GAP, et ce modèle d’Agnès B. serait super (mais à un prix tristement incompatible avec mon goût immodéré pour le vin rouge et l’huile au piment).
34€ : Les meilleurs élastiques de ma vie
Trouvés par mon amie Joy qui a la phobie des élastiques moches qui trainent au poignet « comme si on avait treize ans » (mon look signature malgré moi). Ceux-là sont très jolis, tiennent super bien les cheveux les plus fins, ils ont le bon goût de ne pas les abîmer puisqu’ils sont en soie et surtout leur nom ne me fera jamais pas rire.
75€ : La sauveuse des vols long-courriers
Cette crème pour le visage Dermalogica est riche, très riche, plus riche qu’un prince saoudien. Je l’avais essayée en contour de l’œil (= bof) puis je l’ai mise avant un très très long vol (promesse d’une peau immonde et déshydratée à l’arrivée) et là, magie : 25 heures après avoir sauté dans un taxi à Barbès, j’ai atterri à Sumba avec une peau de bébé.
Quant au pire…
4,80€ : Une cancoillotte décevante
Si la franchise est un crime, alors passez-moi les menottes : la cancoillotte Lehmann, la « meilleure » de toutes qu’on trouve chez les fromagers les plus exigeants, elle me dégoûte. Elle a toujours l’air d’avoir tourné. J’en ai racheté plusieurs fois en me disant que le problème c’était moi et mes papilles éduquées à la cancoillotte des ploucs Reflets de France mais rien n’y fait alors voilà mon conseil : ne reniez jamais la mauvaise éducation de vos papilles si c’est elle qui vous rend heureux.
20€ : Du crack tarama (200g)
À cause de lui j’évite la rue des Martyrs comme si j’y avais un ex. Ce tarama Kaviari, c’est ma pire addiction. Je crois qu’il n’a jamais vu mon frigo : je rentre, je l’ouvre, je le dévore en une seule fois, debout dans ma cuisine. Ses œufs de cabillaud sont fumés, sa texture est moins grasse, plus rustique qu’un tarama traditionnel et sa saveur est plus puissante. D’après le monsieur du delikatessen, il aurait gagné la deuxième place d’un championnat du monde dont je n’ai jamais entendu parler. Quand j’entre dans sa boutique, j’ai tellement honte de ma faiblesse que je marmonne très vite « unegrosselouchedetaramasilvouplé », je paie par carte en me cachant les yeux, je ressors en essayant de ne pas penser au corail d’oursin (23€) que j’adore aussi manger avec des tartines de beurre salé, finalement j’en attrape une boîte, je repasse en caisse un peu plus honteuse, j’ai encore dépensé comme si demain n’existait pas et voilà pourquoi je n’aurai jamais de manteau The Row.
200€ : Mes mocassins G.H. Bass
C’est pas que je ne les aime pas mais peut-on encore se permettre en 2023 d’investir 200 euros dans une paire de mocassins qui avant la fin de l’année vont commencer à se découdre et se fendre sur les côtés ? Alors qu’on pourrait investir ces 200 euros dans 2 kilos de tarama Kaviari une paire de Weston en dépôt-vente qui, eux, durent toute la vie ?
200€ : Mes billets SNCF pour les fêtes de Noël
Déjà pour leur prix scandaleux mais surtout pour l’expérience d’achat absolument désastreuse le matin de l’ouverture des ventes : deux heures consacrées à rafraîchir alternativement l’appli et le site de la SNCF qui sont hors service et la désagréable impression d’être en train de galérer comme si je voulais acheter un ticket de concert de Freddie Mercury ressuscité sur Live Nation alors que je veux juste aller m’engueuler avec ma famille autour d’un chapon de Noël potentiellement trop cuit.
*les produits mentionnés dans cette newsletter ne font l’objet d’aucun partenariat, affiliation, gifting. Je les ai tous achetés (à mes risques et périls).