Dépression saisonnière annulée !
Mes suggestions pour survivre à une météo terriblement hostile, sans avoir à avaler du Lexomil.
Bonjour à tous, sauf à ceux qui m’ont injustement qualifiée de « drama queen » quand j’ai affirmé que la météo n’avait jamais été aussi hostile qu’en ce début d’année ! Météo France vient de me donner raison : Paris n’a eu droit qu’à 38 heures d’ensoleillement en février, un record depuis 1991. Vous avez bien lu, la dernière fois qu’on a connu un temps aussi pourri, Michel Rocard était premier ministre et Vanilla Ice passait à la radio. Pour tenir d’ici l’éclaircie, j’expérimente de nouvelles habitudes comme me réveiller en écoutant Prince plutôt que Jordan Bardella sur France Info, et j’ai commencé à lister tout ce qui me procure des décharges instantanées de dopamine :
Sentir les effluves de glutamate dans l’air quand je pédale dans le XIIIe arrondissement
Tomber sur un épisode de Columbo que je n’ai pas déjà vu
L’incroyable beauté de ce pantalon Alaïa
Les premières notes du générique de L’Île de la Tentation
Le parfum de la lessive Aqua Universalis de Francis Kurkdjian dans mes draps
Regarder les adolescents répéter des chorégraphies TikTok devant les baies vitrées de la BNF le samedi après-midi
Recevoir un code promo SSENSE
Une soirée qui s’annule à la dernière minute
Découvrir encore de nouveaux lieux cachés dans Paris comme l’atelier Lardeur où la cheffe romaine Erika Blu a récemment cuisiné des dîners fous éclairés à la bougie
Apercevoir, à défaut du soleil, des ombres pour la première fois depuis des jours
…et entendre chanter les oiseaux pour la première fois depuis des mois.
Ces photos de David Bowie incognito au Musée d’Orsay, photographié en 1990 par un élève en voyage scolaire
Ça fait un peu « manifesting » comme exercice (voire candidat de Koh Lanta qui parle de burgers et de raclette au douzième jour de l’aventure) mais quand la vie prend des allures d’éternelle rétrograde de Mercure dans le fin fond du Mordor, je vous assure que c’est terriblement efficace.
Le prix des choses
Trois paradis plus ou moins à portée de main !
4€ : Un paradis perdu
Mon père (ce snob) adore caresser le chat en citant cette phrase de Proust : « Les vrais paradis sont les paradis que l’on a perdus. » Et si pour l’écrivain ces paradis perdus s’incarnaient dans une madeleine imbibée de thé, chez moi, le paradis perdu est un gâteau béarnais que l’on appelle le russe. Oui un russe béarnais c’est bizarre, mais pas plus ridicule que le « basque cheesecake »* qui squatte la carte de tous les restaurants depuis cinq ans sans que personne ne s’en offusque. Le russe, donc : un carré de pâte à succès et de crème au beurre pralinée diaboliquement fondante qui doit son nom à la poudre d’amande qu’on importait de Crimée lorsque dans les années 20, un pâtissier nommé Adrien Artigarrède l’a inventé à Oloron-Sainte-Marie.
Avec sa cinquième génération de pâtissiers et ses succursales à Pau et Saint-Jean de Luz, Artigarrède reste le premier ambassadeur du russe mais en réalité on en trouve un peu partout en Béarn. Mon préféré, celui qu’on achetait pour tous mes anniversaires, c’était celui du Leclerc de Pau. Comme la radio Skyrock, les jeans Diesel et les fréquentations douteuses, le russe a accompagné toute mon adolescence et disparu brutalement de ma vie quand j’ai quitté la maison puisqu’à ma grande surprise, personne en dehors du 64 n’en avait jamais entendu parler. À Paris, je l’ai cherché, cherché, j’ai même demandé à un traiteur béarnais que j’adore, Richard Pommiès, d’en faire un pour mon anniversaire l’été dernier mais sa version, hyper actuelle, s’éloignait de mes souvenirs de crème au beurre décadente. Alors quand le mois dernier mon petit ami est arrivé chez moi avec une part de russe dans une boîte en carton, un russe bien crémeux comme celui de mon enfance, j’ai cru halluciner. Il m’a dit l’avoir trouvé chez Mamiche Traiteur. Oui, Mamiche, cette boulangerie avec laquelle j’entretiens une relation d’amour-haine toxique digne du Mon Roi de Maïwenn. Mamiche, c’est le Vincent Cassel de mon Emmanuelle Bercot : j’aime le génie de ses roulés jambon-fromage, de son petit pain noir et de ses beignets au Nutella autant que je hais ses files d’attente pleines de touristes à béret et ses horaires dignes d’un fonctionnaire de l’Éducation nationale. Plus je l’aime, plus elle me maltraite et chaque fois que j’essaie de rompre, elle trouve le moyen de remettre une pièce dans le tiroir-caisse de ma dépendance affective : l’arrivée du russe dans sa vitrine en est la preuve.
* En réalité le « basque cheesecake » est une imitation de la légendaire tarta de queso du restaurant La Viña à San Sebastian. Il est cramé sur le haut et tellement gras qu’il tient sans fond de tarte. C’est un délice. Hélène Darroze m’avait raconté que c’était le gâteau préféré de Johnny Hallyday et que Pierre Hermé a longtemps cherché à le reproduire. Pour y goûter, il faut se farcir un kilomètre de queue depuis que le New York Times a eu la mauvaise idée d’en faire un article, mais je continue de penser que c’est le genre de gâteau qu’il faut manger au moins une fois dans sa vie !
62€ : Un paradis artificiel
Je suis absolument convaincue que la prochaine révolution médicale sera psychédélique. La substance active des champignons hallucinogènes, que l’on appelle psilocybine, fait actuellement l’objet d’un nombre incalculable d’études partout dans le monde et toutes confirment ses effets spectaculaires dans le traitement de la dépression et des addictions. En France, le CHU de Nîmes vient ainsi de démarrer l’expérimentation d’un traitement auprès de patients atteints d’alcoolisme tandis qu’aux États-Unis, on s’apprête carrément à légaliser la psilocybine et la MDMA pour les personnes souffrant de syndrome post-traumatique. Et à Paris, on peut désormais se faire livrer pour une soixantaine d’euros des boîtes de gélules microdosées en champis aussi facilement qu’une commande Net-a-Porter. Elles arrivent tout droit de Hollande, où des marques au design joyeux sont en train de faire de la psilocybine un produit wellness comme un autre : argumentaire rassurant, direction artistique régressive, « capsules vegan», eshops séduisants et nourris d’avis clients enthousiastes dont celui-ci que je n’oublierai jamais : « Depuis que je me microdose, je prends enfin du plaisir à jouer avec mes enfants ! »
Je rappelle à toutes fins utiles que la psilocybine reste illicite en France et qu’à moins d’adorer l’amour libre et le Burning Man, il existe des moyens plus soft de s’offrir une expérience méditative et psychédélique. Une bonne playlist, par exemple. Je recommande la BO de Blade Runner par Vangelis et précisément Tears in rain, le plus beau morceau du monde, ou les albums seventies des compositeurs John Cameron et Brian Bennett ou encore l’album Afro-Harping de Dorothy Ashby. Plus chic (et cher) : un maxidosing de bœuf wagyu. Le restaurant japonais Marie Akaneya sert à Paris la viande la plus persillée et fondante qui existe (Ito Ranch, son point de fusion est à 12 degrés ce qui signifie qu’elle fond dans la MAIN), tellement riche et grasse que le soir où j’y ai dîné, je me suis couchée en ayant - littéralement - des hallucinations.
340€ : Un paradis sur Terre
Rien ne me sort plus efficacement d’un état dépressif que la perpective de vacances au soleil, c’est pourquoi je peux passer des mois à éplucher chaque détail d’une destination. Tout y passe : docus Arte, avis Google, blogs de voyages, forums de vieux, hashtags sur TikTok… Je fais moins ça pour réussir mes vacances que pour avoir l’impression d’y être déjà mais il arrive que cette maniaquerie paie et m’amène à trouver des endroits aussi fous que peut l’être Chumbe, une île située à 6 kilomètres au large de Zanzibar. On y accède uniquement par un petit bateau dans lequel on se toise tous du regard, ambiance The White Lotus. À l’arrivée, aucun personnel hôtelier mais des rangers et, en guise de cocktail de bienvenue, une décharge à signer stipulant qu’on n’attaquera personne en justice si on vient à mourir d’une attaque de méduse ou de raie. Il n’y a pas de piscine, pas de clim, pas de fenêtre, pas de wifi, pas de prise électrique, même pas d’eau courante puisqu’on s’y douche à l’eau de pluie. C’est The Wish Lotus en fait. Chumbe n’est pas un complexe hôtelier mais une ancienne île militaire qu’a racheté une Allemande dans les années 90 pour en faire le sanctuaire le plus protégé d’Afrique de l’Est. Elle ne peut pas accueillir plus de seize personnes à fois (on était huit).
Il suffit d’une heure sur place pour comprendre tout le mal que l’on a fait à la biodiversité partout ailleurs : ici des nuées de papillons multicolores s’envolent sur notre passage, les moustiques sont quasiment absents car leurs prédateurs sont légion, la barrière de corail au large pète le feu et abrite une vie sous-marine exceptionnelle, raies, requins à pointe noire, anémones multicolores, poissons-clown, tortues… Le jour tombe et les allées de sable prennent des allures de périph’ à l’heure de pointe quand s’y pressent des centaines de bernard l'hermite. C’est simple, le premier jour on se jette sur son téléphone pour photographier le moindre Martin-pêcheur, et le dernier jour, c’est limite si on ne soupire pas en levant les yeux au ciel quand un dauphin jaillit de l’eau à l’heure de l’apéro. Ce spectacle a un prix, et je ne parle pas là de cohabiter avec des serpents et des toilettes sèches. Quand j’ai réservé, les sept cabanes éco-conçues indiquaient 340€ la nuit. Le lendemain, j’ai réalisé que c’était 340€ PAR PERSONNE et qu’on ne payait pas le prix d’une chambre*, mais celui de la charge mentale que l’on impose par notre présence à des rangers entièrement tournés vers la préservation des espèces qui les entourent. Leur vague indifférence à l’égard des visiteurs invite à explorer, seul, les secrets de l’île. Savent-ils seulement qu’à marée basse, la pointe sud révèle un banc de sable immaculé digne des Maldives ? Et qu’à la faveur d’un bain de minuit, du plancton fluorescent illumine l’eau de milliers de lumières ?
L’accueil d’un nombre limité de touristes à des prix prohibitifs a permis à Chumbe de devenir la première zone marine protégée financièrement autonome du monde. Cet argent finance la conservation de l’île mais aussi des programmes d’éducation environnementale menés dans les écoles de Zanzibar. Parce que ce modèle de tourisme vertueux a contribué à réintroduire des espèces menacées, l’île a reçu l’award Regenerative Travel Initiative of the Year en 2023. Il m’a convaincue de traquer ce genre de label plutôt que les reels hypnotisants d’Instagram pour choisir mes prochaines destinations de vacances et complètement reprogrammé ma conception du luxe (=> la solitude, la nature intacte, le silence, une chambre sans clé ni clim).
Des trucs à lire
Toujours dans l’esprit de mon rebranding Jacques Cousteau, une centaine de nouveaux animaux mignons ont été découverts au large des côtes chiliennes grâce à un robot capable de se balader à 4500 mètres de profondeur. Je suis plus que fan de la vibe Schiaparelli des oursins rose pâle et oui, la première question qui m’a traversé l’esprit en les voyant c’est « Est-ce que ça se mange ? »
Je rêve d’une adaptation au cinéma de ce courrier des lectrices complètement fou paru dans The Cut : une autrice (nommée Sleeping With the Enemy) est convaincue que tous les commentaires ignobles de trolls qui pourrissent la sortie de son dernier roman sont en réalité écrits par… son propre mari.
Avez-vous du mal à dire « non » ? Au vu du nombre d’articles qui paraissent sur le sujet ces jours-ci, vous n’êtes pas seul. J’ai entendu à la radio un type expliquer qu’il est d’autant plus difficile de dire « non » que ce mot est devenu insupportable à une société ultra-individualisée et bercée par l’illusion marketée que le monde est supposé se plier à ses désirs. Alors comment dire « non » ? Ce chouette papier du New York Times suggère entre autres de consigner dans un carnet toutes les fois où l’on a dit « non ».
Si vous êtes plutôt du genre « people pleaser » (ou juste ascendant Balance), The Guardian offre de son côté des conseils pour se faire apprécier des autres et vraiment, personnellement, tous me feraient fuir en courant (« commencez par les flatter, fixez-les dans les yeux, choisissez vos mots avec soin ») mais c’est sans doute parce que ma Lune est en Capricorne.
Si vous êtes arrivé au bout de ce numéro, félicitations ! N’hésitez pas à vous abonner pour réitérer cet exploit ad vitam aeternam :
Carte Blanche est une newsletter que j’écris sur mon temps libre et ces jours-ci j’en manque cruellement, au point que je me pose la question : préféreriez-vous en recevoir des plus courtes, plus souvent, ou maintenir ce long format mais à un rythme plus occasionnel ?
Long et occasionnel. J'en veux pour mon non-argent !
C’est pas grave le rythme occasionnel … au contraire… c’est comme un cadeau, une surprise… on se délecte d’une lecture sous chill.