À quoi seriez-vous prêt(e) pour cette pizza ?
Une conversation avec celui dont la pizzeria rend fou tout Paris.
Bienvenue dans Carte Blanche ! Si vous êtes un habitué, rassurez-vous, vous n’êtes pas daltonien (à moins que vous ne le soyez vraiment ?). J’inaugure juste une nouvelle mise en page, une nouvelle couleur, c’est le bleu de Pierrot Le Fou. Je l’adore. Si vous vous retrouvez ici pour la première fois, mettez-vous à l’aise, enlevez vos chaussures et déposez votre adresse mail ici :
Une idée aussi fausse que récurrente sur la presse, c’est que les journalistes s’y spécialisent en fonction des sujets dont ils aiment le plus parler. Si c’était vrai, je serais journaliste météo. Si c’était vrai, on serait tous journalistes météo ces temps-ci tellement la pluie, le manque de lumière et les envies de meurtre qui en ont découlé ont occupé l’essentiel de nos conversations. Et puis une nouvelle pizzeria a ouvert sans faire de bruit et nous a sauvés de l’abîme de small talk dans lequel on se laissait tous glisser : depuis dix jours, c’est d’elle dont tout le monde parle. Dan Pearson a commencé à servir ses premières pizzas au restaurant Le Rigmarole à l’automne 2022 et très vite, tout le monde avait décrété qu’il s’agissait des meilleures pizzas que l’on ait jamais mangé à Paris.
Rien n’est plus à côté de la plaque que l’idée qu’il existe une « meilleure pizza ». C’est un plat trop volatile : aucune pizza au monde ne peut convoquer des marqueurs assez universels pour mettre d’accord un Napolitain, un mec de Chicago, un Marseillais amateur de moitié-moitié et un farfelu fan d’ananas. Ça n’a jamais empêché les championnats du monde de pizza de se multiplier mais selon moi, il existe autant de « meilleures pizzas » sur cette planète qu’il existe de puristes autoproclamés. N’empêche. Quand j’ai goûté la pizza amatriciana de Dan Pearson, j’ai sincèrement pensé que c’était la meilleure pizza que j’avais jamais mangé. Mais j’étais incapable d’expliquer pourquoi. La résidence de Dan au Rigmarole était éphémère et ça a largement rajouté à l’effet de hype qui s’est emparé du restaurant : en quelques semaines, il était devenu plus difficile d’y réserver une table que d’avoir une place pour un ballet à l’opéra, ou de booker un balayage chez un coiffeur de star. Il y a quelques mois, j’ai appelé Dan pour un projet annexe. Il m’a dit qu’il allait bientôt ouvrir sa propre pizzeria « quelque part dans l’Est de Paris, un concept similaire à la résidence du Rigmarole, très simple, pizzas, vin nature, bonnes bières. » OOBATZ vient d’ouvrir du côté de Ménilmontant et les réservations sont déjà prises d’assaut. Cinq choix à la carte (16-24€) allant d’une Margherita classique à des versions de saison (« asperges, asperges sauvages, citron » en ce moment) + une option « carte blanche » (hohoho), qui est une surprise du chef improvisée à la minute. À cette occasion, Dan a gentiment accepté que je retranscrive notre conversation d’il y a quelques mois dans cette newsletter, rubrique Pep Talk. Il m’avait notamment confié pourquoi ses pizzas ne ressemblaient à aucune autre. Son secret était tellement simple, évident, je n’en revenais pas.
OOBATZ, 4 bis avenue Jean Aicard, Paris 11.
Le prix des choses
1500€ d’objets de désir. Qui resteront désirs car c’est le montant exact du redressement que vient de me réclamer le centre des impôts du XVIIIe.
Le crayon le plus chic du monde (je hais les stylos). Graf Von Faber Castell. Plaqué platine. Gomme et taille-crayons intégrés. Deutsche Qualität. (325€)
Un savon Wary Meyers, ou le premier morceau de mortadelle de l’histoire qui n’ira pas se loger directement dans mes cuisses (26,95€).
Une nuit dans la maison démontable de Jean Prouvé à Saint Paul de Vence (600€).
The New Tiffany Table Settings par John Loring, 1981 (29,95$). 70 personnalités new-yorkaises imaginent des mises en scène en utilisant l’art de la table Tiffany. Gloria Vanderbilt, Elsa Peretti bien sûr, mais aussi Cary Grant, Diana Vreeland et même Andy Warhol, qui a imaginé un dîner pour une seule personne, derrière les barreaux. J’ai très envie de ce livre mais je me venge avec celui-ci qu’Apartamento vient de publier sur les intérieurs italiens d’Elsa Peretti et que l’on m’a offert.
Cette théière en porcelaine de chez Ginori qui hurle à la face du monde « Je suis une millenial et j’adore ça !! » (535€)
Cette gelée solaire qui a l’air de sentir l’escort, convoque le souvenir des vieilles couvs de ELLE par Gilles Bensimon, et que je soupçonne d’être aussi inefficace qu’elle est photogénique (23€).
Enfin j’ai eu la joie de recevoir cette poudre de saté créée par les sœurs Katia et Tatiana Levha du Servan pour Rœllinger (10€). C’est toujours ça que les impôts n’auront pas !
Dan Pearson, donc. Dan qui est arrivé sur la scène food avec discrétion et humilité, Dan qui a conquis Paris en silence, sans en faire des caisses sur Instagram. La première chose qu’il faut savoir au sujet de Dan, c’est qu’il n’est pas cuisinier. Il est boulanger.
« J’ai travaillé à la boulangerie Ten Belles à Paris. Je faisais du pain au levain mais à la maison, j’aimais utiliser cette technique pour faire des pizzas. Un soir, j’ai invité des amis à les goûter. Robert et Jess, les patrons de Rigmarole étaient là. Ils ont compris ce que je cherchais à faire : la plupart des pizzerias n’utilisent pas de levain. Mon approche à moi est similaire à celle que j’ai pour le pain, c’est-à-dire que je trouve qu’un pain naturellement fermenté au levain a tellement meilleur goût. Ils allaient avoir leur deuxième enfant et m’ont proposé de cuisiner mes pizzas à Rigmarole pendant cette période de congés. C’était à l’automne 2022 et c’était ma toute première expérience dans la restauration.
Dans le commerce, il n’existe qu’un seul type de levure pour lever la pâte, c’est celle qui est utilisée pour la pâte à pizza classique. Dans le levain, on a différents acides lactiques, aminés et des bactéries probiotiques qui vivent en harmonie avec la levure. C’est chargé en minéraux, en nutriments. C’est un challenge de travailler une matière vivante comme le levain mais ça change tout : son goût, sa digestibilité.
Tout commence avec une très très bonne farine. J’utilise cinq types de farines différentes, sourcées au Piémont, dans le Nord-Est de l’Italie et en Île-de-France. J’adore me concentrer sur des régions spécifiques. J’ai un levain très sain et naturel, assez actif pour fermenter ma pâte, et un four assez chaud pour cuire une pizza en une seule minute, voire en 30 secondes. Je prépare la pâte la veille parce qu’elle doit fermenter au moins 30 heures à température ambiante et au réfrigérateur. Elle me permet de fabriquer 65 pizzas, pas une de plus. »
Merci d’avoir lu Carte Blanche jusqu’au bout ! La prochaine, je vous parlerai de la pornographie des trentenaires : l’immobilier parisien.