Si vous avez déjà dû vendre des fringues sur Vinted pour vous payer des interrupteurs en porcelaine Fontini, si vous avez déjà fait une crise de nerfs devant l’installateur de la fibre optique, si les services clients de Geodis et DPD sont passés devant Cyril Hanouna dans votre death note personnelle, enfin si vous avez déjà contemplé votre douche qui régurgite le contenu de vos toilettes, vous comprendrez sans doute mon inactivité des dernières semaines. Mon esprit, mon âme, et mon être tout entiers sont accaparés par des problématiques intérieures : j’ai acheté un appartement sur Le Bon Coin. En pleine rétrograde de Mercure, ce qui n’était pas très heureux mais enfin, j’ai au moins mis un terme à une recherche longue et douloureuse, quoi qu’enrichissante du point de vue linguistique. Ainsi je suis devenue bilingue en entubes immobilières et je sais désormais que :
« Proche Canal Saint-Martin » : Situé dans l’allée du crack à Stalingrad
« Décoré avec goût » : Dalles en ardoise dans la salle de bain et carrelage métro dans la cuisine
« 37m2 au sol » : 22m2 en loi Carrez
« Bien coup de cœur, charme de l’ancien » : Passoire thermique, DPE G, sol pas droit
Étant actuellement composée à 80% de cartons, de papier bulle et d’acouphènes provoqués par la musique d’attente du SAV Leroy Merlin, n’espérez pas de moi une sélection des meilleures-nouvelles-adresses-de-la-rentrée-où-il-faut-absolument-voir-et-être-vu car je suis, de ce point de vue-là, aussi inutile qu’un casque de vélo Astier de Villatte. Mes préoccupations actuelles sont plutôt les suivantes :
-Que penser de cette astuce de tri post-Marie Kondo qui n’est plus « je me demande si cet objet me fait éprouver de la joie » mais « prendrais-je la peine de nettoyer cet objet pour le garder s’il était couvert de vomi » ?
-Si mon pays peut nommer un gouvernement d’ultra-droite suite à un vote majoritairement à gauche, pourquoi ne pourrais-je pas faire rentrer une baignoire de 140 centimètres dans une salle de bain qui en mesure 120 ?
-L’achat d’un bien immobilier est-il toujours une conquête de mon indépendance si je pleure en m’asseyant par terre à chaque fois qu’il faut monter une étagère ?
Les conclusions d’une étude scientifique très sérieuse réalisée auprès de quatre potes me laissent penser que je ne suis pas la seule à développer un Haut Potentiel Domestique en ce début d’automne. Si vous vous sentez concernés, voici tout ce qui nourrit mon fétichisme intérieur en ce moment :
Gwyneth Paltrow qui n’habite pas avec son mari. Pascale Ogier, la Virginia Woolf des années Palace, qui exige « une piaule » rien qu’à elle dans Les Nuits de la pleine lune. Whoopi Goldberg qui a dit : « I don’t want somebody in my house ».
Pleasures and Terrors of Domestic Comfort de Peter Galassi, un livre de photos tiré de l’exposition culte du même nom qui s’est tenue au MoMA en 1991 et que je rêve de m’offrir.
Cet article qui raconte ce que la découverte d’un village sur pilotis de plus de 3000 ans, retrouvé dans le lit d’une rivière d’Angleterre, nous révèle de la vie domestique à l’Âge du Bronze : on y habitait des maisons rondes et confortables au toit de chaume, bien isolées du froid, en harmonie avec les animaux. On y portait des vêtements tissés en lin et des bijoux en perles de verre et d’ambre. On y cuisinait, avec des couteaux en bronze et des gamelles en céramique, du sanglier et du chevreuil laqué au miel. Bref, un lifestyle ambiance week-end dans le Perche à D’une île, très très loin de l’imaginaire austère traditionnellement associé à cette période, et pour cause : les rares traces de l’avant-conquête romaine qui ont pu traverser les siècles jusqu’ici avaient toujours été conservées dans des lieux fortifiés, donc militaires ou religieux, et pas exactement funky.
Ce monsieur amateur de jolies fleurs et de cuisine qui se filme dans son 18m2 au Japon, c’est mon Perfect Days au quotidien :
Les photographies de Tina Barney que le New York Times appelle « l’ethnologue de l’élite américaine » parce que depuis les années 70 elle photographie inlassablement les ultra-riches dans l’intimité de leur domicile. J’ai longtemps adoré la photo ci-dessous sans savoir qu’elle était d’elle. Le petit fil électrique qui flingue la mise en scène millimétrée m’obsède. L’œuvre de Tina Barney fait justement l’objet d’une grande rétrospective au Jeu de Paume dès ce week-end. Autre exposition domestique à surveiller : L’intime, de la chambre aux réseaux sociaux à partir du 15 octobre au Musée des Arts décoratifs.
L’émission culte MTV Cribs, qui visitait les foyers over-the-top de toute l’industrie musicale américaine à l’époque où celle-ci rivalisait de symboles de statut social genre piste de bowling dans la cuisine et requins dans l’aquarium du salon. L’intégralité des archives est aujourd’hui disponible sur les différentes chaînes YouTube de MTV. Je vous recommande l’épisode des Destiny’s Child pour voir l’immonde chambre mille et une nuits de Beyoncé que j’avais tristement tenté d’imiter dans ma propre chambre d’ado en 2001 (un voilage en organza la Foir’Fouille et un rêve). Mais aussi la cabane jamaïcaine de Naomi Campbell équipée d’un bar à rhum et la maison du rappeur Redman qui ressemble à tous les appartements de mes potes “beatmakers”, “organisateurs de soirée” et fans d’Ed Banger en 2007. J’aurais adoré qu’il existe une version française avec le six pièces à 12.500€/mois de Rachida Dati ou les toilettes de Franck Gastambide recouverts des affiches de ses films, quel dommage que nos vedettes nationales aient si peur du fisc…
The Well Home, le dernier miroir aux alouettes à destination des 1% et de leurs obsessions (=> vivre éternellement dans une bulle à l’écart de la plèbe et de ses problèmes
provoqués par nos propres sources de revenus et modes de vie). Airmail consacre un article très rigolo à Gautam Gulati, dit « Dr. G » (dit également « The Indian George Clooney »), le médecin qui s’autoproclame à l’origine du concept de « santé par le design intérieur ».The Queen of Versailles, documentaire génial de Lauren Greenfield sur une ex-Miss Floride et son mari magnat de l’hôtellerie dont le projet de construction de la plus grande maison d’Amérique s’est retrouvé contrarié par la crise de 2008.
Dans un twist final de type happy ending tellement américain, le couple a repris du poil de la bête, relancé les travaux et en a fait une télé-réalité.
Le compte Instagra @lemportepieces qui recense les photos d’annonces immobilières les plus étranges du Bon Coin.
La page 448 de l’essai de Mona Chollet Chez soi, sur les magazines de déco : « Ne plus disposer d’autres supports que des magazines pleins de demeures luxueuses expose au risque de mal rêver. Non pas qu’il faille priver notre imagination de sa folie des grandeurs ; ce serait une grave erreur et, d’ailleurs, ce ne serait même pas possible tant elle lui est consubstantielle. […] Le risque survient lorsque de la rêverie sereine, enrichissante, on bascule dans celle qui amène à mépriser sa propre vie. L’exposition des appartements et des maisons des riches fait courir ce danger. Les dispositifs de la société du spectacle, avec leur mise en scène constante de la réussite, se caractérisent en effet par leur capacité à créer de l’insatisfaction. De l’insatisfaction et non de la révolte. » Autre motif d’insatisfaction (haineuse) pour ma part : les magazines spécialisés « petits espaces » qui nous font visiter des petits espaces de 80m2 à Paris.
Quelques objets essentiels à mon épanouissement domestique. Toute à mes histoires de rénovation d’appartement, je calcule désormais les prix en nombre de prises électriques Fontini (1 prise : 29,99€).
57 prises Fontini : les chaussons les plus chics du monde
Un ami de Nina Christen m’a fait découvrir son travail au début de l’été, alors qu’elle s’apprêtait à présenter sa première collection de chaussures. Et vraiment, ces dernières années, rien ne m’avait autant excitée au rayon mode que les trois paires actuellement en pré-commande sur son site. Nina Christen, qui s’est formée chez Céline période Phoebe Philo avant de devenir l’arme secrète des maisons de luxe, a dessiné toutes les pompes que j’ai un jour traquées sur Vestiaire Collective : les talons ballons cartoonesques de Loewe. Les mules tressées de Bottega Veneta. Tout ce que produit The Row. Avoir appris dans le Wall Street Journal que son associé n’est autre que l’intriguant Paul Dupuy, fondateur des sushis les plus chics de la ville (Sunei, Yoshinaga) et de la start-up de médecine préventive Zoï, n’a fait que démultiplier ma fascination. Quant à ces chaussures en veau entièrement fourrées de poil de chèvre, elles ont élu domicile dans ma tête sans payer de loyer.
Dans mes rêves les plus fous, je suis assez riche et fantasque pour en faire les chaussons invités de mon appartement (c’est criminel de marcher chez soi avec des semelles ayant foulé les trottoirs parisiens). Dans la réalité, j’investirai sans doute plutôt dans ces chaussons de courtoisie japonais du studio tokyoïte Claska qui, eux, ne coûtent que deux prises Fontini.
10 prises Fontini : mon starter pack
Le numéro en cours, consacré aux petits espaces, du très beau magazine de lifestyle japonais Premium. 50% du plaisir consiste à aller l’acheter à la librairie Junku qui est le seul endroit de Paris où l’on a vraiment l’impression d’être à Tokyo. Le top Cotton Seamless de la maison de lingerie suisse Hanro que porte Nicole Kidman dans Eyes Wide Shut. La marque l’a réédité, une amie me l’a offert, je veux qu’on m’enterre dedans. Une brosse à clavier d’ordinateur. La planche à découper Hasegawa plébiscitée par les maîtres sushi au Japon et personne d’autre puisqu’elle coûte à elle seule 5 prises Fontini.
30 prises Fontini : Une robe de chambre Charvet
Quand j’entre chez Charvet j’ai envie de me révolter devant la qualité cheap des autres maisons de luxe internationales et leur accueil digne du Sephora des Halles. Tout, des chemises en coton suisse aux mouchoirs en soie en passant par les chaussons en cuir, y est chic à en crever mais rien n’y est aussi chic que les robes de chambre. Le must étant évidemment de la faire en demi-mesure ou total sur-mesure et de s’évanouir lorsque l’on devra choisir parmi les 600 différentes nuances de blanc proposées par la maison.
4 prises Fontini : Un abonnement annuel à Mubi
Pour regarder le plus grand film jamais réalisé sur la vie domestique (enfin, ce n’est pas comme s’il y en avait eu des tonnes) : Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman. J’aime passionnément Delphine Seyrig, son sourire de Mona Lisa, l’aliénation dans ses gestes répétés à l’infini et le rose de sa salle de bain (à vue d’œil le Pink Ground de Farrow & Ball).
Merci d’avoir lu Carte Blanche jusqu’au bout ! Si c’est votre première fois ici, retrouvez toutes mes archives de ce côté. Si vous en voulez plus, abonnez-vous !
Ciselé celle-ci, qu’est-ce que j’ai ri